La question des poubelles en Himalaya…
Pourquoi les hommes s’évertuent-ils à détruire ce qui les nourrit profondément ?
Pourquoi les alpinistes s’évertuent-ils à détruire la nature et la montagne elle-même ?
Ma saison himalayenne de l’automne 2016 m’a conduit au Camp de Base du Tukuche, dans la Hidden Valley.
La situation y est catastrophique : l’endroit était une véritable décharge publique.
Alors qu’il y a quelques années déjà, une action de nettoyage exemplaire ,DHAULA GUERI avait été organisée par Breffni et ses amis.
Alors, pourquoi s’évertuer à nettoyer un camp de base si en quelques années la quantité de déchets n’a pas diminuée ? Ou pire, s’il y a encore plus de poubelles qu’avant ?
Personnellement, je n’ai pas envie de vivre et de camper dans une décharge publique, ni de partager cette expérience avec mes compagnons de voyage et d’expédition.
Pour être cru et réaliste, sommes-nous condamnés à rester dans notre Merde ? Ou allons nous réfléchir aux véritables causes du problème ?
Et surtout agir ?
De retour dans la vallée, trois expéditions plus tard, le constat est encore pire que ce que j’imaginais.
Voici trois exemples de mon automne 2016, dans des lieux très différents,
trois exemples parmi des centaines d’autres.
- Au Mukot Himal, un petit sommet derrière le Dhaulagiri, entre la Hidden Valley et le Dolpo, quelle n’est pas ma surprise de trouver des poubelles discrètement abandonnées un peu à l’écart du camp de base ! Rien de surprenant au Népal… sauf que ce sommet vient juste d’être autorisé et que nous sommes la troisième équipe sur les lieux !
Or, à l’automne 2015, deux groupes d’un grand Tour Operator Anglais (KE) faisaient l’ascension du Mukot Himal, encadrés par des guides Anglais UIAGM et une équipe népalaise. - Versant Hidden Valley, la situation est encore pire !
Au camp de base du Tukuche, un très beau sommet de « presque 7000 », il faut attentivement choisir son emplacement de tente pour ne pas vivre dans les poubelles. Le petit torrent qui alimente la cuisine est pollué de saletés de toute nature. Et ce lieu est suffisamment loin de tout pour n’être fréquenté que par les randonneurs et les alpinistes… - Et le troisième exemple est encore plus édifiant (et oui c’est possible) puisqu’il s’agit d’un camp de base uniquement utilisé pour les stages de formation pour gravir les sommets proches du Gangja La Peak . Les poubelles sont rassemblées dans une décharge, non loin de la cuisine…
Quasi aucun groupe de trek ou d’alpinisme ne fréquente les lieux.
Connaissance et prise de conscience
De mon point de vue, deux leviers sont pertinents et pourraient être utilisés pour bouger définitivement les lignes :
la connaissance et la prise de conscience.
En trek et d’expédition, c’est en priorité avec l’équipe de cuisine qu’il faut débuter ce processus, car le Cook est au point de départ de ta gestion et du tri des ordures. Puis, il est nécessaire d’impliquer l’ensemble des membres de l’expédition : les népalais, les étrangers…, sans oublier le gouffre culturel qui les sépare.
Nous, occidentaux nous rêvons d’un environnement idéalisé de pureté, un Himalaya et des montagnes vierges de toutes impuretés. Blanches comme neige…
Mais que faisons-nous pour cela ?
Nous déléguons simplement cette exigence aux équipes népalaises, qui n’ont ni la même perception, ni les mêmes valeurs, ni le même niveau de prise de conscience. Et encore moins les mêmes réalités de vie.
Les népalais vivent la montagne avant tout comme une source de revenu, un moyen de vivre plus décemment.
Cette délégation de responsabilité devrait s’accompagner d’un contrôle.
Mais nous savons bien au fond de nous que ce contrôle nécessiterait de notre part des actions concrètes difficiles, coûteuses en temps et potentiellement conflictuelles.
Est-ce trop demander pour des occidentaux en vacance, outrageusement nantis (dont je fais partie) et auto-centrés sur leurs activités de trek ou d’alpinisme ?
Au regard de la réalité, la réponse est : oui.
Notre rêve d’un Himalaya sans pollution reste bloqué au stade du fantasme; tant que nous n’aurons pas enclenché d’actions concrètes visant à modifier nos propres comportements au cœur même de nos trek et expéditions, il nous faudra simplement accepter de vivre en altitude sur des tas d’ordures de plus en plus gigantesques.
Un jour, peut-être, quand la situation deviendra inacceptable pour nous,
daignerons-nous accorder nos actes à nos déclarations ?
Poubelles en Himalaya… Il est urgent d’agir…
Pour moi, ce temps est venu : nous mettons en place une petite agence népalaise (Himalayan Travellers) spécialisée dans l’organisation des expéditions. Une agence qui se veut éthique dans ses choix et ses fonctionnements; une agence, surtout, qui se veut éthique dans sa réalité quotidienne si importante pour moi : car c’est le fondement d’une action à long terme.
Avec Bishal Rai, le sirdar qui m’accompagne dans l’organisation de mes expéditions, voici ce que nous avons décidé :« We leave only our foot prints behind us ».
Sur le terrain : durant la marche d’approche, au camp de base et dans les camps d’altitude, tous nos déplacements sont guidés par cette seule exigence.
Aucun déchet n’est laissé sur place, tout est rapporté au point de départ.
Mais surtout tout le monde est impliqué et s’engage à un contrôle mutuel permanent.
Pour nous, la logique des « rubbish pit » est un non-sens écologique. C’est une invitation à y déposer nos propres déchets. Et ces poubelles restent sur place et s’accumulent au fil des ans. La situation empire inexorablement, à certains endroits l’eau utilisée pour la cuisine est pollué.
Mais comment atteindre cet objectif ?
Tout simplement, sans être soit-même croyant, en utilisant les enseignements bouddhistes pour fonder tous nos comportements, à chaque instant de nos vies de voyageurs d’altitude.
Pour les Népalais, qui dans nos équipes sont quasi tous bouddhistes, l’objectif est de s’appuyer sur les enseignements de Sa Sainteté le GYALWA DRUKPA, la plus haute autorité de l’école Drukpa Kagyu et un homme d’un rare humanisme.
Mais pourquoi lui ?
Simplement parce que son enseignement et surtout ses actes illustrent parfaitement la relation qu’il est nécessaire d’instaurer envers l’environnement.
En décembre 2010, Sa Sainteté Gyalwa Drukpa a reçu le Green Hero Award des Nations Unis, pour son initiative « Eco Pad Yatra » durant laquelle des centaines de volontaires ont marché avec lui pour un long trek en ramassant tous les déchets non bio-dégradables (en particulier les plastiques).
Pour lui, ce voyage est une pratique extrêmement importante du bouddhisme.
« Simplement parce que l’approche bouddhiste de la spiritualité n’est rien d’autre que de garder l’environnement propre. En sachant qu’il y a 3 ou 4 conceptions de l’environnement. Le concept intérieur est bien sûr l’esprit, la manière dont nous regardons les choses, et cela doit être de manière positive et très optimiste. Un autre concept est l’environnement extérieur, celui que nous voyons autour de nous et cet environnement doit être propre. Propre au sens de le garder sain.
Tous les déchets non bio-dégradables sont en train de tuer notre environnement, la nature.
Au nom de la Boddhicité, au nom des activités bouddhistes, au nom de la Compassion, au nom de l’Amour, qu’avons-nous à faire ?
Nous devons agir immédiatement et nettoyer notre environnement. Tous nos environnements.
Nous ne devons pas attendre que ce problème devienne insoluble et ne puisse être résolu simplement.
Nous devons faire quelque chose immédiatement et avec cet « Eco Pad Batra » je donne simplement un exemple qu’au moins mille personnes ont suivi et ces mille personnes sont des exemples qu’un millier de personne peuvent suivre. Cet exemple doit être contagieux et se propager partout. C’est ma motivation principale. Nous devons le faire comme une part importante de notre pratique bouddhiste. » dans une interview à la revue Vairochana (n°12)
Et pour nous, alpinistes et trekkeurs…?
Est-il possible de transformer nos treks et nos expéditions en « Eco Pad Yatra » ? Tout au long du chemin ? A chaque instants de nos vies d’alpinistes ou de trekkeurs?
Poubelles en Himalaya… Plus concrètement.
Au Népal, l’histoire débute par les membres népalais et en particulier par l’équipe de cuisine; car c’est elle qui réalise la collecte des déchets, principalement les emballages et les boites de conserve de la nourriture, auxquels s’ajoutent bien sûr les détritus quotidiens des trekkeurs et alpinistes (mais qui sont proportionnellement peu importants).
La première étape consiste avec un enseignement bouddhiste à toute l’équipe lors d’une réunion formelle; puis par des actions concrètes, quotidiennes et personnelles de chacun, qui concernent bien sûr tout le monde…
1… Sur le sentier, en présence d’un papier ou d’un plastique, chacun fait le geste de le ramasser et de le mettre dans une poche de son sac à dos en contribution à la propreté des lieux traversés. Ces poubelles sont collectées à l’étape et ajoutées aux nôtres. Et si un endroit est très pollué, l’objectif est de ramasser au moins un déchet non biodégradable par personne.
2… A l’arrivée à l’étape, le premier objectif est de nettoyer le camp, tous ensemble, pour vivre dans un environnement propre et sain. Avec une attention particulière à l’emplacement de la cuisine. Un membre de l’équipe népalaise est désigné pour la gestion globale de la propreté du camp. Il part en dernier, après s’être assuré du respect des consignes. Il « travaille » en relation directe avec l’un des voyageurs et ce binôme change chaque jour.
C’est Bishal qui coordonne l’ensemble, directement avec moi.
3… Au camp de base, le chef de la cuisine a la responsabilité de trier toutes les poubelles dès le début, avec un endroit séparé pour les déchets organiques, un autre pour les déchets incinérables; un sac pour les plastiques, un autre pour le verre et un troisième pour les boites de conserve.
Ces trois sacs sont transportés durant tout le voyage de retour jusqu’en vallée.
Au départ du camp de base, celui-ci doit être impeccable, sans aucune trace de notre passage, de notre présence. Les cendres du foyer d’incinération seront les plus discrètes possibles. C’est le sirdar et le chef cuisinier qui partent en dernier, ou à défaut une personne désignée par eux et clairement identifiée.
4… En altitude.
Tous les déchets sont triés directement et redescendus au camp de base.
Chaque équipe de tente gère ses propres poubelles, jusqu’au tri final dans celles de la cuisine du camp de base. Peut-être sera-t-il judicieux de prévoir des petits sacs bien identifiés (comme au Denali) ?
Pour les toilettes, un emplacement est construit à chaque camp et recouvert avec précaution au départ (Bishal, et pourquoi pas une mini toile de tente toilette spécifique pour l’altitude ?).
Pas de trace d’urine sauvage, ni de bambous laissés en place, au camp ou sur la trace.
Les cordes fixes sont également des déchets.
Il est donc indispensable de les redescendre au camp de base.
De mon côté, j’ai déjà décidé d’en utiliser le moins possible ce qui me facilite évidemment la tache (par exemple, au Manaslu en 2015, nous avons utilisé 30 m de cordes fixe)
Les cordes fixes en place seront systématiquement enlevées pour contribution à la qualité des ascensions futures. Et descendues (puis partagées entre l’équipe ou données/vendues au dernier village).
Mais, dans la réalité, c’est beaucoup plus compliqué… Comment allons-nous faire ce printemps à l’Himlung ? Ou en 2018 au Makalu ?
En cas de conflit, l’objectif sera d’être le plus discret possible et d’essayer d’instaurer un dialogue avec les autres équipes népalaises présentes, et d’expliquer la nature bouddhiste de notre choix d’une montagne propre. Mais entre les partisans d’une progression encordée et les équipes qui utilisent des cordes fixes… un conflit d’usage est inévitable. Tout le monde garde en mémoire l’histoire de l’Everest, où un lynchage a été évité de justesse.
En conclusion
Un véritable contrat relie donc l’ensemble des membres de l’expédition, népalais et occidentaux, avec des taches précises et les contrôles qui leurs sont associés.
- C’est le chef d’expédition occidental qui est le garant de la bonne gestion des déchets en relation étroite avec le sirdar et le chef cuisinier.
- L’objectif : rien ne doit être laissé en montagne.
Tout doit être redescendu dans la vallée et recyclé le mieux possible. - L’ensemble des membres de l’expédition sont impliqués dans une pratique bouddhiste pour maintenir la qualité et la propreté de l’environnement, par des gestes simples du quotidien qui provoquent du plaisir (Enlithment) en accord avec le Dharma.
- Les membres occidentaux participent également au contrôle de l’état des différents camps utilisés, plus particulièrement en altitude.
L’objectif est un changement de comportement de l’équipe népalaise avec le soutien des alpinistes pour arrêter définitivement le dépôt des ordures en altitude, et progressivement effectuer un nettoyage naturel de tous les camps et au-delà de la montagne.
Et pour nous, les alpinistes étrangers, qui ne sommes pas bouddhistes…
Tout simplement, nous nous devons d’être exemplaires dans tous nos actes quotidiens pour conforter les népalais dans leurs pratiques et pour une adhésion inconditionnelle à ce fonctionnement.
C’est d’ailleurs tout simplement une condition de participation aux expéditions que j’organise, car le chef d’expédition (qu’il soit guide de haute montagne ou amateur) est le garant des pratiques « clean » en Himalaya.
Bien évidement de nombreux sujets ne sont pas traités dans ce premier texte.
Je souhaitais simplement poser une première pierre sur les petites actions concrètes que nous allions mettre en place dès la prochaine expédition, la traversée de l’Himlung.
Rendez-vous à notre retour pour un bilan de cette expérience.
Envie de réagir, d’apporter votre expérience ou un commentaire… des idées à partager, des actions à promouvoir…
Surtout n’hésitez pas !
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Paulo_le 12 Février 2017
Un week end sur les skis à La Grave
Merci infiniment à Claire pour la traduction en Français de la prose Grobélienne !
Merci Paulo pour cet article. Je suis triste d’apprendre que la Hidden Valley est de nouveau polluée alors que nous avions tout nettoyé il y a maintenant 15 ans. Des expéditions de nettoyage pour effectuer des « points zéro » sont utiles, mais il faut évidement que les équipes locales soient également sensibilisées à l’environnement pour éviter que les déchets s’accumulent de nouveau.
Nous avions afficher des dizaines de Chartes de bonne conduite dans les lodges autour du Dhaulagiri et de l’Annapurna : force est de constater que notre action de sensibilisation ponctuelle n’était pas suffisante.
Il reste encore beaucoup de boulot pour que les montagnes fréquentées redeviennent propres
Bonjour,
je suis très peu surpris par ce commentaire, en effet les exploits sportifs sont malheureusement polluants et pollueurs car l’homme ne respecte en rien sont environnement (Paris Dakar), seul l’exploit compte (se faire déposer en hélicoptère par exemple n’est pas très écologiste). C’est déplorable. Vouloir gravir des sommets et jeter les déchets sur cette même montagne c’est dire le peu de respect des alpinistes nantis occidentaux qui s’imaginent être des donneurs de leçon aux autochtones. Idem pour la conquête spatiale, les déchets sont innombrables dans l’espace mais cela ne pose aucun problème pour la suite car ce n’est pas l’urgence du moment. Seul le business compte et chacun pour son petit « exploit polluant ».
C’est une réalité de la prison financière que les loisirs liés à la montagne exercent sur les populations locales.
Bien à vous pour la suite, bon courage pour votre engagement.
Cordialement
FH