Tomber dans une crevasse reste un incident relativement rare.
À condition de respecter certaines règles de pratique, cela restera un simple incident de parcours sans conséquence. Les accidents graves de chute en crevasse sont généralement dus à une absence d’encordement.
Pour préparer l’été et les prochaines courses en montagne, je vous propose une présentation personnelle de la progression sur glacier et du sauvetage en crevasse.
Cette manière de faire va m’accompagner durant les différents séjours que j’organise et elle va donc s’enrichir de quelques photos et expériences partagées.
Les croquis qui illustrent cette page sont issus du site de PETZL… L’une des ressources les plus pertinentes de la toile !
Et voici une perception complémentaire de cette approche très technicienne et sécuritaire : considérer un glacier (ou un sommet) comme une véritable entité… (c’est un article à lire sur mon site).
« Les glaciers sont vivants non pas seulement parce qu’ils s’écoulent, bougent, reculent, craquent, s’effondrent et meurent ; ils sont vivants par la qualité du regard que nous posons sur eux et par l’attention que nous leurs portons. L’attention à ce que nous éprouvons profondément, la manière émotionnelle dont nous vivons notre rencontre avec un glacier. L’attention que nous lui prodiguons, en évitant de le défigurer, d’y abandonner nos déchets et nos excréments, en évitant de l’exploiter avec des remontées mécaniques et des pistes travaillées aux bulldozers. »
Progression sur glacier, quelques considérations…
Message N° 1
En été, il est impératif d’être encordé sur un glacier enneigé (sauf si c’est de la glace car on voit alors les crevasses).
Mais cela ne suffit pas. En cas d’accident, Il est indispensable de disposer, à la surface :
- des compétences pour organiser un secours.
- d’une réserve de corde.
- du matériel de secours.
- Et un moyen de communication adapté pour appeler les secours si nécessaire.
INDISPENSABLE !!! et pourtant peu mis en avant et contextualisé.
Il existe deux manières d’évoluer sur un glacier :
- en groupe, avec plusieurs cordées.
- ou, en une seule cordée.
- Une cordée évoluant seule se doit d’avoir un encordement adapté (en N), et surtout des compétences et du matériel de secours pour chaque membre de la cordée. C’est souvent ce qui est le plus difficile à respecter.
- Un groupe, constitué de 2 cordées et plus, peut considérer différemment ces impératifs (par exemple, l’encordement en N n’est pas systématique, les cordes peuvent être plus courtes, et seulement l’obligation de deux personnes compétentes et deux kits de secours).
Il faut donc, d’une part, avoir le matériel nécessaire :
- Une corde (il faudra préciser le type et le diamètre)
- Un baudrier.
- Un mousqueton à vis unidirectionnel. Voir ci-dessous.
Et savoir s’encorder sur glacier :
- Quel noeud d’encordement utiliser ? Un noeud en 8.
- Quel longueur de corde est nécessaire entre les participant ? LONG (12 à 15m).
- Encordement en N si une seule cordée, avec au minimum une corde de 50 m, et avec la réserve dans le sac, pliée ou kitée, ou en anneaux de buste. Je préfère la première solution de la réserve de corde dans le sac qui offre plus de liberté de mouvement.
A retenir à minima : ne pas s’encorder avec une corde dynema ! Et faire des noeuds de freinage, surtout quand les conditions sont défavorables
Progression sur glacier, Le Kit de sécurité...
Pour évoluer sur un glacier, chaque membre d’une cordée doit avoir au minimum sur son baudrier, en plus du mousqueton à vis unidirectionnel pour s’encorder :
- une broche à glace sur un mousqueton simple ou une dégaine.
- une sangle (120 cm) avec un mousqueton à vis.
Et c’est tout !
Puis, il faudra ajouter le matériel collectif : le kit de sécurité (soit sur soi, soit dans le sac, en fonction du nombre de cordée).
Ce matériel sert à pouvoir s’amarrer à la paroi de glace, limitant ainsi la tension sur la corde, prévenant une erreur de manipulation de la corde en surface, permet d’accrocher le sac pour s’habiller (le secours va durer un certain temps).
Il faut également 2 kits de secours en crevasse, avec :
- Une micro traction et son mousqueton à vis.
- Une sangle de 120 cm et son mousqueton à vis.
- Un auto-bloquant mécanique (tibloc ou ropeman) et son mousqueton.
- Une poulie et son mousqueton à vis
Ce matériel sert :
- à la surface, pour transférer la traction de la corde de la personne à l’ancrage, installer un mouflage boucle,
- dans la crevasse, pour réaliser un auto-sauvetage (une remontée de corde).
Secours en crevasse. Les différents scénarios possibles.
Ils sont bien sûr différents en fonction de votre mode d’évolution sur le glacier, si vous êtes un groupe, ou une cordée isolée de 2 ou de 3.
1ère situation … Vous êtes une cordée de deux et votre compagnon est tombé dans une crevasse.
Il est intéressant de connaitre et de comprendre l’enchainement des actions que vous allez devoir réaliser. Bien évidemment, vous avez l’un ET l’autre les compétences et le matériel nécessaire, et vous vous êtes entrainés à cette situation.
Personnellement, je ne crois pas en la possibilité de mettre en place efficacement et dans toutes les situations un mouflage complexe pour remonter la victime. Les efforts sont souvent très/trop importants et je privilégie donc une remontée en auto-sauvetage de la victime.
Heureusement, les chutes en crevasse sont rares. (Perso, 2 en plus de 40 ans de montagne intensive)
1ère étape. Enrayer la chute.
C’est la longueur de l’encordement (long, 12 à 15 m) avec éventuellement des noeuds de freinage qui permettront cet arrêt. A condition d’évoluer à corde tendue, et sans anneau à la main !
2ème étape. Réaliser un ancrage en neige,
…, alors que vous avez toujours la corde en tension ! C’est le plus difficile.Les noeuds de freinage sont très efficaces pour réduire cette tension. Ancrage en T avec un piolet, et une sangle (en respectant l’axe de traction vers la victime).
Ne surtout pas bâcler cette étape pour être certain de réaliser un ancrage à toute épreuve.
3 ème étape. Transférer la traction de la corde sur l’ancrage en utilisant une micro-traction.
4 ème étape. Il faut s’approcher du bord de la crevasse
…, pour entrer en communication avec la victime. Pour cela, il est indispensable de s’en approcher en étant assuré. Sortir le brin de corde du sac et y fixer un auto-bloquant avec une sangle.
Deux remarques :
- Je préfère un auto-bloquant mécanique à un auto-bloquant réalisé avec une cordelette. Car, ii ne nécessite peu d’apprentissage spécifique et fonctionne uniquement dans le bon sens.
- Attention à l’approche du trou où a disparu la victime, il faut comprendre la position de la crevasse et la taille de la lèvre. Il serait « dommage » de tomber également dans la crevasse !
En fonction de l’état de la victime, vous avez alors deux solutions.
- La plus fréquente, la personne n’est pas blessée et c’est un simple incident : vous pouvez alors continuer le sauvetage.
- Elle est blessée et c’est un véritable accident qui nécessite d’appeler les secours (et donc d’avoir le moyen adéquat pour le faire).
OUF, la personne n’est pas blessée. On continue !
Deux messages importants.
- Avec quelle corde effectuer un secours ? En situation réelle, la crevasse comportera le plus souvent une « lèvre » plus ou moins importante. La corde qui a permis d’enrayer la chute aura forcement entaillé cette lèvre de neige et sera donc inutilisable pour réaliser le secours. Il faudra donc utiliser un autre brin de corde et donc l’envoyer à la victime.
- L’aménagement de la crevasse. Il est judicieux de dégager le plus possible cette lèvre, le plus délicatement possible avec les pieds, et surtout de positionner un sac à dos pour éviter que cette nouvelle corde ne s’enfonce elle aussi dans la lèvre. (Vous risquez de casser vos bâtons si vous les utilisez à cet effet. Assurer le sac à dos d’une manière ou d’une autre pour éviter de le perdre).
5 ème étape. La remontée sur corde.
La personne dans la crevasse peut fixer son sac sur la corde qui sera ainsi tendue (c’est plus facile pour faire glisser les auto-bloquants) et remonte sur la corde en réalisant un auto-sauvetage.
A la surface, il ne reste plus qu’à rejoindre l’ancrage et à attendre que la personne remonte tranquillement.
Si vous savez réaliser un mouflage complexe, que la victime n’est pas trop lourde et que vous êtes plutôt costaud, vous pouvez le mettre en place en remontant ainsi la corde sur laquelle remonte votre compagnon. Ce sera déjà ça de gagné !
Secours en crevasse. La remontée sur corde fixe (auto-sauvetage).
C’est LA compétence que devrait posséder toute personne évoluant sur un glacier (en une cordée isolée).
Je suis dans la crevasse, et si possible, je me suis amarré avec ma broche à glace et habillé confortablement.
- On vient de m’envoyer un brin pour que je remonte dessus.
- J’accroche mon sac à dos au bout de cette corde avec un noeud, elle sera ainsi lestée ce qui facilitera ma remontée.
- J’installe la micro-traction sur la corde et je la relie à mon baudrier sur le pontet.
- J’installe une pédale de pied avec un auto-bloquant mécanique et une sangle.
Et c’est parti !
C’est mieux si je me détache et que je récupère la broche !
- Pour me faciliter la manip, je peux également faire un renvoi avec une poulie sur l’auto bloquant mécanique en place pour y faire passer la corde qui sort de la micro traction.
- Bien sûr, plus vous vous entraînerez au sec sous un balcon, plus la manoeuvre vous semblera simple !
- Attention à la dernière phase du passage de la lèvre, faite vous aider par la personne en surface (qui restera auto assurée) pour ne pas faire un choc sur la corde en retombant même de quelques dizaines de cm.
2 ème situation… Vous évoluez en groupe avec plusieurs cordées.
C’est souvent la situation que je vis lors des séjours que j’organise. Tout est plus simple, car vous avez à la fois de la main-d’oeuvre pour réaliser les différentes taches et des bras pour tirer. Un vrai bonheur !
Ce qui change :
- Faire un ancrage est plus simple. Vous pouvez récupérer un piolet et en l’enfonçant verticalement faire un ancrage provisoire pour réduire la tension de la corde. Une autre personne peut réaliser un ancrage en T béton.
- Le transfert de charge est identique sur l’ancrage, et forcément facilité.
- Pour entrer en communication avec la personne dans la crevasse, vous restez encordé à un bout de corde et on vous assure avec un 1/2 cabestan depuis le point d’ancrage.
Vous aménagez le bord de la crevasse comme précédemment.
Avec de la main d’oeuvre, privilégiez la réalisation d’un mouflage boucle :
- Vous envoyez un brin de corde en double avec une poulie et un mousqueton à vis. L’accidenté installe ce mousqueton à vis sur son pontet. Et commence à enlever son amarrage.
- L’un des brins de cette boucle est fixé à l’ancrage avec un noeud et l’on tire sur l’autre brin.
- Ne pas oublier un auto bloquant anti-retour, également fixé sur l’ancrage. Il est plus simple qu’une personne soit dédiée à cette tache pour éviter tout incident.
Dans la crevasse, la personne peut aider à la manoeuvre en tirant sur la corde fixée pour se remonter un peu et soulager l’effort de traction.
De mon point de vue, les mises en situation de sauvetage en crevasse généralement proposées dans les vidéos sont rarement pertinentes car elles ne correspondent pas à la réalité et sont trop simplifiées. Par exemple, les 1ère et 2ème étapes (Enrayer la chute & Réaliser un ancrage) sont rarement proposées, pourtant ce sont les plus importantes et les plus complexes à vivre.
Bien sûr, ce style de mise en situation est très complexe à mettre en oeuvre.
Et une conclusion plutôt optimiste.
Heureusement pour nous, une chute dans une crevasse est un incident relativement rare !
Pourtant, il est nécessaire de s’y préparer en toute conscience et application. À nous de faire cet effort et de trouver des lieux adaptés.
Paulo, à La Grave…, un lundi de pentecôte 2021 particulièrement pluvieux, avec la collaboration attentive de mon compagnon de cordée.
Merci Paulo pour ce précieux partage d’expérience pour les amateurs que nous sommes.
Salut Paulo,
Article très instructif ! C’est vrai qu’il y a des détails qu’on oublie ou dont on ne nous parle jamais : comme le coup du bâton qui casse pour protéger la lèvre ou le fait de sécuriser le sac à dos (c’est bête mais sur le coup on peut zapper…).
Merci pour ce beau travail !
Thomas
Ping : CSV Alpinisme. La vigilance « Glacier et risque de chute en crevasse ».
Merci pour ce petit topo très instructif.Patrick