Les glaciers sont vivants non pas seulement parce qu’ils s’écoulent, bougent, reculent, craquent, s’effondrent et meurent ; ils sont vivants par la qualité du regard que nous posons sur eux et par l’attention que nous leurs portons. L’attention à ce que nous éprouvons profondément, la manière émotionnelle dont nous vivons notre rencontre avec un glacier. L’attention que nous lui prodiguons, en évitant de le défigurer, d’y abandonner nos déchets et nos excréments, en évitant de l’exploiter avec des remontées mécaniques et des pistes travaillées aux bulldozers.
En ce début d’automne, je suis là. Au milieu du glacier de la Girose.
Je me déplace doucement. J’écoute. Je m’arrête et je regarde. Je me pose et je médite. Je regarde aussi mes compagnons. Et ils sont beaux mes compagnons de montagne. Je les remercie infiniment de m’avoir invité, initié à un merveilleux voyage sensoriel et émotionnel, au coeur d’un monde qui est pourtant le mien.
- Natacha marche précautionneusement en regardant, en écoutant le glacier avec sa caméra.
- Laurent s’immisce dans les fentes et cherche un lieu propice pour être, pour vivre à l’intérieur du glacier une expérience d’une corporalité singulière.
- Sophie a dansé face au soleil puis s’est allongée comme épousant la forme du glacier qui s’écoule. Dans sa main levée vers le ciel un morceau de glace fond et s’écoule goutte à goutte.
- Olivier, lui, est debout. Il a entonné un chant, une mélopée douce et grave, qui vient de loin, du plus profond de son envie de rencontre, de son intuition de cette rencontre particulière avec le glacier.
Le cadre est somptueux. L’instant magique.
Il n’y a aucune présence humaine, pas de téléphérique, de piste ou de pelle mécanique, nous sommes seuls, le glacier et nous, en une déroutante intimité. J’observe mes compagnons, le glacier, et leurs beautés conjuguées me comblent, me bouleversent. Ma carapace d’homme, de guide et de technicien de la montagne s’est comme dissoute, évaporée.
Depuis ce jour là, ma manière d’être en montagne a changè, ma relation aux glaciers, aux sommets, aux rivières, à la montagne dans son ensemble, et aux autres se modifie doucement. Je ne vois plus mon métier de guide de la même manière.
Peut être vais-je arriver a me débarrasser définitivement de mon carcan de techniques et de certitudes, mon langage sécuritaire et cette injonction à toujours faire, toujours plus.
Une autre vie commence…
Les glaciers sont vivants !
Cette expérience émotionnelle qu’il est possible de vivre en haute montagne est une composante de cet art de gravir des montagnes, de s’élever vers le sommet qui me passionne. L’état de nature, la Wilderness est un élément incontournable de l’alpinisme qu’il est indispensable de valoriser et de protéger. À La Grave, le nouveau projet de téléphérique (le T3) va dénaturer définitivement cette notion de sommet pour le Dôme de la Lauze, modifier la fréquentation et l’aménagement du glacier de la Girose. C’est une atteinte à l’alpinisme qui a récemment été déclaré Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité par l’UNESCO !
Je n’avais jamais imaginé qu’un glacier puisse être une entité à part entière. Un élément singulier d’un monde particulier, la haute montagne. Comme nous le sommes nous même.
De cette rencontre peut naitre une expérience sensitive d’une grande beauté, d’une intensité prodigieuse. Et cette relation nous rend plus vivant, plus conscient de l’environnement naturel qui nous entoure, à nos compagnons. Par la qualité de cette mise en relation sensorielle nous pouvons ressentir faire partie d’un tout et que ce tout mérite attention, respect et protection.
Mais comment faire comprendre aux habitants de La Grave l’importance culturelle de nos activités en montagne et la nécessité de renoncer à cet équipement trop lourd de conséquences ?
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