Quels sont les critères pour (bien) choisir son expé ?
Sur un 7000, au Népal…
L’Himlung Himal est devenu au fil des ans, le sommet de 7000 le plus fréquenté du Népal. Parce que c’est un beau sommet, pas trop difficile mais aussi parce que son organisation est simple pour une agence népalaise. Pour un alpiniste occidental souhaitant réaliser l’ascension de l’Himlung, la question de savoir « avec qui » se pose d’emblée.
Le point de départ est donc cette envie de sommet, avec des motivations très personnelles et reliées au chemin de chacun.
Mais quels sont les critères précis à prendre en compte pour ce choix et construire une décision argumentée ?
Pour les définir, il faut ouvrir la boite de cet assemblage touristique et surtout comprendre le mieux possible l’organisation d’une telle expédition au Népal.
Pour le premier critère, le tarif demandé, il faut s’intéresser à la constitution de l’équipe d’encadrement pour la partie alpinisme. La stratégie de déplacement et le mode de progression choisie, compléter par la notion de membership permettent de poser un cadre plus précis.
La taille du groupe a également son importance. Puis, on retrouve les outils liés à la sécurité, les tentes, la nourriture d’altitude et, plus controversée, la notion de pourboire et de bonus d’ascension. Pour la partie technique, il s’agit d’étudier le jour par jour de la marche d’approche et le déroulement de l’ascension (avec en particulier la définition de la difficulté technique). Mais, de manière plus subjective, il faut essayer de lire entre les lignes pour bien appréhender la philosophie globale de l’ascension, la personnalité de /ou des encadrants.
Et forcément prendre le temps de laisser murir le projet avant de prendre une décision.
En partant d’un comparatif entre deux expéditions à l’Himlung en ce printemps 2019, l’objectif de ce texte est donc d’expliquer ces différents critères à prendre en compte, et surtout de les hiérarchiser.
Himlung 2019
Pour le cadre général.
Ces deux expéditions sont toutes deux organisées par un Tour Operator français (TO) avec une agence de trek népalaise, et proposées sur le marché français des voyages (d’aventure) organisés.
- Une expédition est organisée par Allibert (https://www.allibert-trekking.com/voyage/himalaya-himlung-himal)
- et l’autre par Expeditions Unlimited (https://www.expeditions-unlimited.com/fr/voyage/visualiser/ascension-du-himlung-himal-7-126-m).
La taille des deux acteurs est donc radicalement différente.
Mais quelle taille faut-il privilégier pour un « produit » qui n’en est pas vraiment un, tellement les aléas sont importants/inévitable et éloigne une expé du concept d’un voyage organisé ?
Allibert fait partie du plus grand groupe français de voyagistes, Voyageurs du Monde (basé à Paris et qui comprends entre autres Terres d’Aventure) et Expeditions Unlimited est une (micro) activité du groupe Secret Planet (basé à Lyon et qui comprend Tamera).
Les dates sont quasi identiques, au printemps, avant la mousson.
- Du lundi 15/04/2019 au lundi 13/05/2019 pour Allibert.
- Du dimanche 21/04/2019 au lundi 20/05/2019 pour Expeditions Unlimited.
Il y a donc un jour de plus dans le programme d’Expeditions Unlimited.
Le tarif annoncé se situe dans une fourchette proche mais reste différent de 605€.
- « À partir de » 7 995 € pour Allibert
- et 8 600 € pour Expeditions Unlimited.
Pour information, le TO Suisse « Kobler & partner » spécialisé dans les expéditions propose l’Himlung à l’automne.
C’est le Kari Kobler du camp de base !
Avec un tarif dégressif en fonction du nombre de participants.
10780 € avec 6 inscrits.,
9570 € avec 9 participants
et 9050 € (ab 11 Teilnehmende).
Il ne faut pas se leurrer…
Le tarif affiché reste le premier critère pris en compte.
Comme souvent, le budget le plus important est la ligne des salaires et donc du personnel employé.
Cette équipe d’encadrement sur le terrain est aussi ce qui définit le mieux la qualité d’une expédition, alors qu’on voudrait faire croire que ce sont les services proposés au camp de base qui sont importants (tente mess confortable avec chauffage, éclairage, téléphone et wifi). Une attention toute particulière doit être apportée à l’étude de l’équipe d’encadrement technique : le statut et les taches des personnes népalaises ou occidentales qui accompagnent le groupe au-delà du camp de base. Pour les deux expéditions de ce printemps 2019 à l’Himlung, il s’agit d’une équipe népalaise dirigée par un guide diplômé UIAGM français.
Mais aussi une perspective plus large.
Dans la période transitoire qui caractérise actuellement le monde des expéditions au Népal (lire également ce précédent article : http://www.paulogrobel.com/projet/guide-de-haute-montagne-au-nepal/ ), cette analyse est également importante pour faciliter la transition avec des expéditions encadrées par des équipes exclusivement népalaises. Pour l’instant, les TO français proposent ce style d’encadrement (sans guide UIAGM français), uniquement pour des « petits » sommets (Mera ou Island Peak). Ce qui reste surprenant, car ce dernier est techniquement plus difficile que l’Himlung (D- en glace/ PD en neige), mais ceci est un autre sujet…
Au-delà du camp de base.
Deux notions sont à prendre en compte, le portage des affaires (personnelles et collectives) et les capacités physiques et techniques des participants qui peuvent nécessiter un encadrement technique plus ou moins présent.
Cette notion est particulièrement difficile à optimiser à cause de la multitude de facteurs (en particuliers humains) à prendre en compte.
La stratégie de déplacement choisie nécessite également d’être définie car le matériel transporté n’est pas le même. Par exemple, 2 ou 3 jeux de tentes en progression classique, un seul en progression continue.
Le mode de progression choisie est également important, en étant encordé ou non (cad avec ou sans corde fixe).
De manière générale, dans le cadre d’une progression classique, le portage du matériel collectif et l’installation préalable des camps seront privilégiés au détriment d’un encadrement technique, les participants évoluant seul, de manière indépendant le long des cordes fixes (ce qui pour moi reste très accidentogène, en particulier sur les 8000).
Mais ce n’est pas le cas pour les deux expéditions présentés ici. Les deux guides de haute montagne (Lionel et moi) ont choisi une progression continue et un déplacement encordé.
De manière peut être moins précise pour Allibert. Mais il faut savoir que la progression continue demande des efforts et des compétences supplémentaires pour l’équipe népalaise qui reste plus longtemps en altitude avec les participants, au lieu de redescendre systématiquement au camp de base.
- La pose et l’utilisation de corde fixe entre le camp 3 et le sommet par l’arête Nord-ouest ne sont pas indiquées dans la fiche technique d’Allibert.
- Pour Expeditions Unlimited, la voie d’ascension choisie diffère à partir du Camp 3 pour utiliser l’arête Sud-ouest, légèrement plus simple techniquement et qui ne nécessite pas de corde fixe (voir le récit de l’ascension de cet itinéraire en 2016, http://www.paulogrobel.com/himlung-2016-report/ ).
L’expérience et la compétence des participants, ou comment est constitué/recruté l’équipe des participants est un dernier élément important (et très complexe) à évaluer. Il est possible qu’un we de préparation en montagne puisse simplifier en partie cette problématique.
- Un we est proposé (et inclus) pour Expeditions Unlimited,
- mais pas pour Allibert.
HIMLUNG 2019
Plus concrètement, le détail des équipes d’encadrement.
Il est très détaillé pour les deux expéditions et c’est un réel progrès.
Pour Allibert :
- « pour un groupe de 4 à 5 personnes : 2 aides-guides népalais (“climbing sherpa”) ;
- pour un groupe de 6 à 7 personnes : 3 aides-guides népalais ;
- pour un groupe de 8 personnes : 4 aides-guides népalais. »
Pour Expeditions Unlimited :
« Pour un groupe de 8 participants :
– 2 guides de haute montagne (français et népalais) dont l’un UIAGM.
– 1 Nepali Leader pour 2 participants soit 4 alpinistes népalais
– au minimum 4 Special Porters, soit au minimum 1 pour 2 participants.
Et bien sûr, Bishal Rai, sirdar de l’expédition et guide de trek. En cas de problème c’est lui qui s’occupe d’un rapatriement puis du suivi à Kathmandu. »
Pour comparer plus facilement, ce qui se traduit par :
- null
- pour un groupe de 4 à 6 personnes : Les deux guides de haute montagne, 2 Nepali Leader et 3 Spécial Porters, soit 7 personnes.
- pour un groupe de 6 à 8 personnes : Les deux guides de haute montagne, 4 Nepali Leader et 4 Spécial Porters, soit 10 personnes
Un détail.
Le calcul de la taille d’un groupe n’est pas identique; pour Expeditions Unlimited, le guide occidental est inclus dans le groupe.
Une remarque.
pour les deux expéditions, les noms usuels utilisés communément (“climbing sherpa”) ou par le ministère (Hight Altitude Worker »), ont nécessité un changement. Pour Allibert, il s’agit de re-qualifier la notion de guide tout en faisant une distinction avec le guide UIAGM. Pour Expeditions Unlimited, il existe une distinction entre trois statuts,
– celui de guide (UIAGM ou non),
– de « Nepali Leader » (qui peut se traduire par premier de cordée)
– et celui de « Special Porter » (qui désigne des porteurs qui travaillent jusqu’à la limite du glacier, soit Crampons Point entre le Camp 1 et 2).
Et une précision.
Pour cette ascension de l’Himlung, le déplacement entre le Kari Kobler Base Camp et French Camp pour installer un camp de base avancé constitue une rupture de charge et nécessite des porteurs supplémentaires. Mais aussi, le portage du matériel en début de période d’acclimatation est difficile et les « Special Porter » sont un soutien non négligeable durant une période où les participants sont particulièrement fragiles.
En conclusion, la différence est ici significative et permet d’expliquer en partie la différence tarifaire mais aussi de qualité.
Il serait d’ailleurs intéressant de préciser la grille de salaire pour quantifier précisément les coûts salariaux.
Himlung 2019
D’autres critères plus objectifs.
La taille du groupe peut sembler un élément important, mais je retiendrais surtout le nombre de personnes minima pour qu’une expédition soit confirmée !
Surtout au printemps, qui ne constitue pas la saison de plus forte fréquentation. La taille maximum pertinente économiquement se situe entre 8 et 10 personnes, dans le cas d’une expédition encadrée avec une équipe dirigée par un guide occidental UIAGM.
L’étude du budget d’une expédition nécessite ensuite d’analyser les rubriques: « ce prix comprends » et « ce prix ne comprends pas ».
Je retiendrais plusieurs éléments d’analyse.
Les outils liés à la sécurité comme le téléphone satellitaire, l’accès aux informations météo, la télé médecine, la mise à disposition d’un caisson hyperbare et/ou de bouteille(s) d’oxygène à usage médical. Pour des expéditions « à l’occidentale » rien de bien compliqué. Seule différence, il n’est pas fait mention de la météo dans la fiche technique d’Allibert.
Les tentes d’altitude.
Pour Expeditions Unlimited, l’utilisation est de deux personnes par tente (de 3 personnes). En cas de nombre impair, le guide occidental utilise une tente solo ou avec son partenaire népalais. Pour Allibert, il est précisé une utilisation possible pour 3 personnes (« Il est aussi possible d’être à 3 personnes par tente sur décision du guide (conditions météorologiques, portage compliqué ou autres raisons »).
La nourriture d’altitude. C’est l’une des grandes différences entre les deux expéditions.
- Pour Allibert : « Dans les camps d’altitude : les repas sont lyophilisés/déshydratés (chacun prépare son repas, un réchaud par tente est prévu), ou préparés par les “climbing sherpa” (l’aide des participants est parfois la bienvenue)»… « Nous fournissons un choix assez large de lyophilisés/plats cuisinés par l’équipe locale et de vivres énergétiques.»
- Pour Expeditions Unlimited: La nourriture d’altitude n’est pas incluse dans le coût de l’expédition (« pour des raisons pédagogiques et de confort »). Un chapitre de la fiche technique explique les raisons de ce choix et le week-end de préparation a pour objectif d’aider les participants à préparer leur nourriture d’altitude, en solo ou en duo.
Les choix présentés pour la nourriture d’altitude exprime également une différence de conception d’une expédition, d’un côté, un ensemble de services, de l’autre un projet à co-construire par les participants.
Et le week-end de préparation est d’ailleurs un élément clé pour expliquer et valider l’adhésion à ce concept.
La notion de pourboire et de bonus d’ascension.
Pour Expeditions Unlimited. Il n’y a tout simplement ni pourboire, ni bonus. Et les salaires ont été augmentés en conséquence.
Pour Allibert : « Les pourboires font partie intégrante de la culture du pays ». Les pourboires, dont les “summit bonus” ne sont pas compris dans le prix global de l’expédition.
Et de préciser…
« Summit bonus = 500 USD par climbing sherpa ayant atteint le sommet ; 300 USD par climbing sherpa n’ayant pas atteint le sommet. Pourboires pour l’équipe népalaise présente pendant le trekking et au camp de base : prévoir 130 à 150 € par participant pour l’ensemble de l’équipe locale. »
Ce qui explique aussi la différence de tarif entre les deux expéditions.
Je suis bien évidemment en désaccord avec ce système de bonus pour les personnes qui travaillent en altitude.
Comment ne pas supposer qu’en rapport avec les sommes très importantes en jeu, ce bonus peut induire des décisions peu pertinentes, voir dangereuses pour atteindre le sommet coûte que coûte. Les pourboires et le bonus de sommet sont des sujets qui mériteraient certainement d’être remis sur la table !
Une remarque…
La présence d’un guide français UIAGM évite certainement les risques liés au bonus de sommet.
Himlung 2019
Deux autres critères…
– le déroulement de la marche d’approche.
Pour comparer plusieurs projets il suffit d’ailleurs de remplir un tableau EXEL avec les différents « jour par jour » proposés.
Pour ces deux Himlung 2019, il n’y a quasi pas de différence, car le lieu est très classique et bien documenté. Expeditions Unlimited fait simplement un détour à la fois culturel et d’acclimatation par le village de Naar.
– Le déroulement de l’ascension.
Des différences existent quant à la partie finale de l’ascension et surtout pour EU, l’installation d’un camp supplémentaire au Lung La, pour réduire l’effort du dernier jour. Mais il reste à valider si la difficulté d’installation d’un camp supplémentaire en vaut la chandelle. Et, pour Expeditions Unlimited, il y a une surprise discrète (à retrouver sur la page de présentation = http://www.paulogrobel.com/himlung-himal-2019/).
La connaissance de la voie d’ascension et la présentation de sa difficulté technique de manière objective pour les deux expéditions est un réel progrès par rapport à certaines fiches techniques (comme celle de l’Island Peak).
Puis, il existe d’autres critères plus anecdotiques, comme le choix de l’hôtel à Kathmandu.
Ici, l’un est à Thamel (quartier plus touristique, Allibert) et l’autre à Boudhanath (quartier plus authentique, Expeditions Unlimited). Ce qui illustre également un concept différent.
Et pour mémoire, voici deux contributions sur mon site pour mieux comprendre :
- l’ascension avec le topo, http://www.paulogrobel.com/himlung-himal-topo/ (la mise à jour est en cours de rédaction)
- et la marche d’approche, http://www.paulogrobel.com/himlung-trek/ .
À l’avenir…
Il sera intéressant de voir l’évolution des pratiques sur cette voie normale du sommet de 7 000 le plus fréquenté du Népal.
- La progression continue fera-t-elle d’autres adeptes pour les expéditions « by Nepali guide » ?
- Le camp au Lung La est-il pertinent ? Sera-t-il conservé ?
- Comment seront construite les équipes d’encadrement « by Nepali « ?
- Ces critères de choix pour un participants serviront-ils de caneras pour les présentations ultérieurs des fiches techniques ?
Et surtout, rendez-vous à notre retour pour un compte rendu de l’ascension vécue, avec ses diverses péripéties et peut être le sommet en poche.
Merci d’avance pour vos commentaires ou suggestions sur ce texte. Le premier de ce style…
Une suite serait nécessaire pour analyser le même sommet, l’Himlung, mais organisé et encadré totalement par une agence népalaise et vendu sur le marché népalais.
Car c’est forcément la suite de l’histoire, et qui se construira dans un avenir très proche.
A suivre donc.
Paulo Grobel
Guide de haute montagne
« Himlunger »
Début Février 2019_depuis mon camp de base de La Grave
Il fallait oser faire ce comparatif, c’est bien de le faire en toute transparence !
Juste une remarque : j’ai l’impression que l’on va vers plus d’encadrement et de porteurs d’altitude qu’avant, sûrement une demande, mais cet aspect doit faire partie aussi d’un choix (que l’on soit client ou amateur), qui pour moi est super important, sur ce qu’un candidat à une expédition souhaite : un encadrement (guide) mais pas de porteurs d’altitude (dont viser moins haut ou plus simple peut-être), ou au contraire des porteurs « pour que soit plus facile ». Vivre pleinement une expé, c’est justement se poser ce genre de questions, car le choix d’être autonome en portage entraîne une plus grande participation à la stratégie, aux choix à faire en termes d’aller-retours ou de progression continue etc.
Y a t il des passages vertigineux
Car je peux avoir des crises de vertige hélas…