Acclimatation à l’altitude, le rôle du cerveau ?

L’acclimatation en question…
La conférence « Cerveau et Altitude » organisée à Gap le 16 Mars 2017 par Caroline Strube, neurophysiologiste et l’association GSA (Gap Science Animation), dans le cadre de la Semaine sur le Cerveau m’a permit d’apporter un éclairage de terrain à la présentation scientifique de Samuel Vergès, chercheur INSERM au laboratoire Hypoxie et Physiopathologie, président du centre d’expertise sur l’altitude EXALT.

Et ce rapprochement entre chercheur et gens de terrain est particulièrement intéressant.

Nous avons tout à gagner de cette conversation et de ces échanges d’expertises. Même si, jusqu’à présent, le rapport entre ces deux mondes n’était pas sans points de friction.

Ma présentation a débuté par un extrait du film de François Damilano «La Stratégie de l’Escargot» qui témoigne des prémices de la réflexion sur la progression continue. L’objectif était de contextualiser nos propos sur l’environnement hypnotique en Himalaya et donner à voir le cadre réel d’une expédition.

La progression continue (comme je l’appelle aujourd’hui) à marqué une véritable rupture dans le mode de progression des alpinistes en Himalaya. Il a fallu tout d’abord s’affranchir d’une idée bien ancrée dans le monde des expéditions et des médecins : « il est impossible de vivre en Haute Altitude ».
Ce qui est bien sûr à la fois vrai et à la fois faux.

Mais cela a surtout construit une progression himalayenne très particulière faite d’aller et retour, d’incursions rapides en altitude avec de longs séjours de repos au camp de base. C’est d’ailleurs encore la norme aujourd’hui pour la grande majorité des expéditions. Pourtant d’autres styles de progression sont possible, comme la progression continue.
Il faut également souligner qu’une autre préconisation des médecins au sujet de la haute altitude : « la limitation des écarts d’altitude entre deux camp (environ 300 à 400 m) » n’est quasiment jamais respectée par les alpinistes !
Pour de multiple raisons et en particulier à cause des manières de faire instaurées par les acteurs népalais. Cela n’est possible que dans le cadre d’une progression continue et en mode slow, mais surtout conduite par les alpinistes occidentaux eux-mêmes, avec une réflexion, une attention sur le calibrage et la limitation des efforts en altitude.

A noté qu’a la place de cette notion de dénivelée entre deux camps, je préfère actuellement celle de la durée de l’effort (dans le cadre d’un effort d’endurance long), n’ayant pas d’autre unité de mesure.

Un autre sujet de recherche influence actuellement directement ma pratique d’himalayiste et de guide.

L’équipe de Samuel a montré dans une étude récente l’importance de dormir plusieurs nuits consécutives à la même altitude pour favoriser l’acclimatation et des efforts ultérieurs.
Pour beaucoup d’alpinistes c’est une hérésie ! Mais c’est ce que j’essaye systématiquement de mettre en place au dernier camp avant l’ascension du sommet convoité. Et encore plus lors de notre prochaine expédition pour la traversée de l’Himlung.
Le sujet est particulièrement intéressant et pourrait s’écrire ainsi : Comment modifier notre perception de la nuit, en la transformant en un temps de vie à part entière, avec ses rythmes, son organisation, ses contraintes ?

Vers le Mukot Pass entre Dhaulagiri et Dolpo. pour une expédition en Himalaya très exploratoire.

Cerveau et altitude ?

Le cerveau, chef d’orchestre à la fois de notre corps et de notre esprit, commande nos fonctions motrices, l’adaptation à l’altitude, mais aussi les processus cognitifs mis en oeuvre dans les aspects psychologiques.

Une réflexion sur le fonctionnement du cerveau en haute altitude nous entraine donc obligatoirement vers une analyse de nos comportements, de nos manières de faire.

C’est d’ailleurs exactement ce qui se passe dans le domaine de la recherche sur la neige et des avalanches. C’est en étant plus attentif aux modalités de nos prises de décision, à nos états mentaux, à nos fonctionnements de groupe que nous arriverons à mieux vivre la neige. Et surtout à éviter des accidents. Une piste que j’ai commencé à expérimenter dans mes hivers de ski de randonnée en tant que guide de haute montagne avec un fonctionnement de groupe basé sur le « faire ensemble », avec un fonctionnement moins vertical, plus transversal et surtout interconnecté (ou plutôt un mélange des deux postures).

Cet interconnexion entre physiologie et cognition est un champ de recherche trans-disciplinaire particulièrement riche où sont conviées les sciences humaines.

Y a-t-il quelque chose à faire, en altitude, dans notre tête et notre environnement pour faciliter le travail de notre cerveau, qui à la fois pense et commande le fonctionnement de notre corps?
Assurément !

Les états mentaux, la qualité du langage et de nos relations, notre rapport à l’environnement, l’attention au Telos autant qu’au Spelos, nos projections et représentations et tout ce qui se situe dans cet entre-deux, entre nous et avec notre environnement est de nature a interagir avec nos fonctions vitales.
Mais comment valider scientifiquement ces intuitions !
On est loin de la simple augmentation des capacités physiques ou d’une acclimatation artificielle ou médicalisée, Et il faut bien reconnaitre que nous ne savons pas vraiment comment faire: comment agir par des réglages subtiles de nos manières de faire sur nos états d’être ?

L’exemple concret de cet automne 2016 lors de l’expédition vers le Mukot Himal au Népal pour rejoindre le Dolpo illustre particulièrement bien cet éclairage cognitif.

Nous avons frôlé la catastrophe.
Heureusement, l’évacuation d’une personne atteinte d’un oeudème c’est (malgré tout) bien passé. Toutes les composantes pour que cela se passe mal ont été réunies, alors qu’il y avait quatre médecins dans le groupe et un guide expérimenté !
Comment en est-on arrivé là ? Malgré toute l’expertise des personnes présentes, alors que l’unique solution aurait du être de redescendre immédiatement.
Une page sur mon site décrit le mieux possible cette expérience consternante pour essayer d’en tirer quelques enseignements et points de repère pour une réflexion sur ce sujet.

Pour conclure…
Je voudrais saluer le cerveau comme chef d’orchestre de notre corps en altitude. Ce « nouveau » positionnement de la recherche avec toutes ses composantes me semble particulièrement intéressant.

Il reste maintenant à inviter des experts de la psychologie sociale et cognitive dans cette conversation, à multiplier les expérience et les documenter.


Une contribution de Jean-Pierre Kessler

Jean-Pierre Kessler est chercheur CNRS en neurophysiologie à  l’Université d’Aix Marseille.

Les effets de l’hypoxie d’altitude chez l’homme

« La proportion d’oxygène dans l’air est d’environ 20 %. Elle ne varie pas avec l’altitude. Par contre la pression atmosphérique diminue au fur et à mesure que l’on s’élève et de ce fait la pression partielle, autrement dit la disponibilité, de chacun des gaz qui compose l’air diminue également. Au sommet du Mont-blanc par exemple la quantité d’oxygène disponible est divisée par deux par rapport au niveau de la mer. 

Comment notre organisme réagit-il lorsque nous nous trouvons dans cette situation ?

Le premier mécanisme qui entre en jeu est une modification réflexe de la respiration. L’élément déclencheur est la diminution de la quantité d’oxygène transportée par le sang. Cette baisse de la quantité d’oxygène dans le sang est détectée par des capteurs localisés sur les artères carotides. L’information est ensuite transmise aux centres respiratoires situés à la base du cerveau qui vont répondre en déclenchant une hyperventilation, c’est à dire une augmentation de l’amplitude et de la fréquence des mouvements ventilatoires, associée à une tachycardie (augmentation de la fréquence cardiaque). L’hyperventilation va acroitre les échanges gazeux au niveau des poumons et s’opposer ainsi à la diminution de la concentration en oxygène dans le sang.

La même réponse réflexe est également mise en jeu lors d’un exercice physique qui entraîne une augmentation de la consommation d’oxygène. Les deux situations sont elles pour autant comparables ?

Non, car dans le cas d’une hypoxie d’altitude un autre phénomène va intervenir pour compliquer les choses et produire dans certains cas des effets secondaires délétères connus sous le nom de mal des montagnes. L’hyperventilation va également favoriser l’élimination du dioxyde de carbone (CO2) contenu dans le sang. Or ce dioxyde de carbone a un rôle très important : au travers de réactions chimiques qu’il serait trop long de décrire ici, il participe à la régulation de l’équilibre acido-basique du sang. Dans le cas d’une hyperventilation due à l’exercice physique, l’augmentation de l’élimination du dioxyde de carbone n’a pas d’effet négatif car ce composé produit en grande quantités par l’activité musculaire est alors en excès. Dans le cas d’une hyperventilation due à l’hypoxie d’altitude par contre, l’élimination accrue du dioxyde de carbone va se traduire par une diminution de l’acidité du sang. On parle d’alcalose ventilatoire. L’alcalose ventilatoire, si elle est trop important, va déclencher toute une série de réactions qui peuvent aboutir au mal des montagnes.

Que se passe t-il lorsque l’on reste en altitude, par exemple en passant la nuit dans un refuge ?

L’alcalose ventilatoire n’apparaît pas immédiatement, ce qui explique que l’on puisse monter rapidement à des altitudes de 3000-4000 mètres, en téléphérique par exemple, sans ressentir d’autres effets qu’un léger essoufflement. Si le séjour en altitude se prolonge, l’alcalose ventilatoire apparaît au bout de quelques heures. L’équilibre acido-basique du sang va ensuite se rétablir assez rapidement (quelques jours) grace à une élimination accrue des bicarbonates par la voie urinaire. Sans entrer dans les détails, l’acétazolamide prescrit pour prévenir le mal des montagnes mime ce processus physiologique puisqu’il induit lui aussi une élimination rénale des bicarbonates.

Et les globules rouges dans tout ça ?

C’est quelque chose qui est beaucoup plus lent à se mettre en place. Il faut plusieurs jours pour que les premiers globules rouges surnuméraires apparaissent et quatre semaines environ pour une efficacité maximum. Ce mécanisme ne joue vraiment un rôle que lors de séjours en altitude longs ou répétés sur une période longue (plusieurs semaines). » JPK


Welcome onboard

Paulo_juste avant de s’embarquer vers la traversée de l’Himlung
Le 16 avril 2017

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