Et en introduction, je vous invite à lire l’article de Jocelyn Chavy sur Alpine Mag.
Essayons ensemble de raconter cette histoire, de recoller des faits, comprendre ce qui c’est passé, retrouver les morceaux du puzzle en une tentative, dérisoire, pour éviter trop de clivages entre les gens et pour proposer une autre manière d’appréhender une situation complexe, pour être capable d’y apporter une réponse concertée.
Il s’agit donc de compléter, cette première ébauche d’histoire, par une forme d’archéologie, de fouille minutieuse dans un passé assez récent
C’est l’histoire malheureuse d’une fuite en avant dans la gestion d’un territoire de montagne, La Grave/Villar d’Arène, et d’une remontée mécanique emblématique, le téléphérique de La Grave La Meije, dans une commune du Parc National des Écrins.
C’est une fuite en avant où les prises de décisions se sont enchainées au fil du temps, malmenées par des catastrophes naturelles et des conflits de personnes, des enjeux d’égo et de pouvoir, mais surtout par un système de financement par l’argent public obsolète et une forme de gouvernance locale incapable d’inventer et de mettre en place une participation, une implication des citoyens (des deux communes) dans un processus de prise de décision transparent et apaisé.
Et tout le monde, à La Grave et à Villar d’Arène, à plus ou moins laisser faire, déjà bousculé par les traumatismes de l’histoire du Chambon.
On pourrait avancer la date de Juillet 2016, comme un rendez-vous manqué dans la préparation de la DSP. D’un point de vue du fonctionnement du téléphérique, le système d’exploitation et le modèle économique sont à bout de souffle et ne permettent pas d’envisager sereinement une échéance à 10/15 ans qui nécessiterait d’injecter des moyens importants pour faire face au coût de maintenance et de mise en conformité de l’engin. Des sommes que ne génèrent pas l’exploitation mise à mal par des aléas climatiques, des conflits et peut être des choix peu pertinents, malgré les compétences de l’équipe des permanents dans la maintenance du télé.
Malheureusement, les financements publiques, qui pourraient apporter une bouffée d’oxygène et permettre de repartir sur de bonnes bases (le département et la région) sont exclusivement dédiés à l’investissement, et à condition qu’il soit conséquent. C’est une forme de perversion structurelle du système de financement qui engage une course à l’investissement des collectivités en se désengageant systématiquement des problématiques de fonctionnement des territoires. Pour l’exploitant et la mairie, l’équation est simple ! Comment redresser la barre pour ne pas foncer dans le mur et pour présenter une DSP économiquement viable sur le long terme, indispensable pour la pérennité de l’économie locale.
Les axes pour modifier le modèle économique semblent être de deux natures,
- construire une complémentarité entre les deux saisons, l’hiver et l’été,
- et entre deux types d’usagers, les touristes et les montagnards.
Par exemple en allongeant un peu les saisons d’exploitation, et en communiquant différemment…, vers un autre ski, plus NATURE.
L’élaboration et la mise en oeuvre de solutions (dite alternatives) demandaient à la fois du temps, de l’énergie et des moyens, mais en plus une implication forte des acteurs locaux du tourisme, une mobilisation du territoire tout entier pour « sauver le télé ». Cela n’a jamais été exprimé ainsi et ne correspondait pas au choix de gouvernance, ni aux compétences de l’équipe municipale, par ailleurs investie, engluée dans des conflits importants avec l’exploitant historique. Pourtant, des solutions alternatives ont été recherchées, un bureau d’étude a fait des propositions, qui furent rapidement écartées. Par qui ? Pourquoi ?
Restait alors la solution la plus simple, investir lourdement dans un troisième tronçon et déléguer le projet à une entreprise solide susceptible de dynamiser le processus, quitte à suggérer, se mettre d’accord sur un modèle en contradiction avec l’existant et les valeurs du lieu. Pouvait-on déjà y voir les prémices de la renaissance du projet Grand Oisans ?
D’où cette inscription « figée dans le marbre », de la construction du troisième tronçon du téléphérique dans la DSP. Avec, au passage, une petite phrase pour rassurer le futur opérateur et mettre la pression aux financeurs publiques. Il ne restait alors plus qu’à faire appel à la bonne volonté de nos hommes politiques avec des arguments aussi grossiers qu’égotiques…, pour devenir le Chamonix des Hautes Alpes, avec le plus haut téléphérique de France.
Le plus drôle, c’est que ça marche, ça a marché !!!
Car, pour tous, le micro noyau décisionnel de la mairie et les dirigeants financiers de la SATA, ce T3 était LA solution. Il n’y en a pas d’autre. Et surtout, ils avaient les compétences et les forces pour convaincre les personnes clefs et construire un projet bien ficelé, mais à une condition… Ne surtout pas ouvrir une réflexion avec les acteurs locaux, les institutions partenaires ou pire les populations concernées.
Comme par exemple, certains hôteliers qui se sont questionnés sur leur avenir après le Chambon, peut être les guides quand ils descendent de la montagne (la compagnie et le bureau) et le Parc des Écrins bien sûr, garant d’une certaine cohérence environnementale des territoires de montagne. Bref, tous ces gens qui sont, à leurs niveaux, susceptible de les interpeller et surtout de proposer d’autres choix !
Une fois la stratégie posée, le budget bouclé avec l’argent public, il était relativement simple pour un poids lourd comme la SATA de construire toute l’argumentation nécessaire pour rendre le projet crédible et acceptable. Et comme l’écologie est dans l’air du temps, un peu de vert, une pincée de patrimoine et de culture ne peut pas faire de mal… Et c’est cet argumentaire pseudo écologique qui nous est proposé actuellement.
Peut-être n’ont-ils même pas imaginé qu’il pouvait y avoir un grain de sable, (comme ce foutu collectif La Grave Autrement), pouvant perturber le système, puisque tout a été actée progressivement et discrètement et que l’équipe municipale va forcément être réélue. Le pire, c’est que l’équipe municipale actuelle, ou du moins 5 d’entre eux ont participé (peut être, à l’insu de leur plein gré ! ?) au montage de toute cette histoire.
Mais qui est vraiment la SATA ?
Un simple opérateur bienveillant de remontées mécaniques, qui se préoccupe de l’avenir de LA Grave, des emplois et de l’économie; Il faut quand même être un peu niais pour y croire et ne pas être à minima vigilant. Par exemple, la puissance des moyens déployés pour convaincre lors des différentes rencontres, la présentation d’un véritable plan de marketing pour les trois territoires, et surtout le changement de statuts opéré il y a 2 ans pour investir les compétences d’acteur immobilier, prouvent le contraire. Pour mieux comprendre ce qu’il nous arrive, il nous faut donc dénouer, rendre visible, les fils qui imbriquent les trois ou quatre territoires concernés, quoi qu’en disent les élus ou les cadres de la SATA ou de la SATG. Et cette opportunité arrivera rapidement avec la mise en place de l’enquête d’utilité publique, qu’il faudra absolument relier à celle ayant eu lieu en Isère.
Et l’argent publique dans tout ça ?
Nos politiques, aux ambitions aussi démesurées que ce nouveau téléphérique, quelle vision de l’avenir des territoires de montagnes ont-ils ?
Sont-ils capable de modifier des schémas de subventionnement pour donner les moyens nécessaires à une réelle transition alternative du tourisme en montagne ? Surtout dans cette période de crise COVID où les 4 millions d’€ de deniers publiques pour financer une entreprise privée ont une valeur particulière.
Par exemple, pour financer la restauration des services de santé, pour améliorer le service du déneigement du Col du Lautaret ou même aider les associations d’aide aux migrants de Briançon (bon, ça c’est utopique…!).
Aujourd’hui, que faut-il espérer ?
Ou plutôt que faut-il faire pour qu’au moins les habitants de La Grave et Villar d’Arène puissent décider quelle économie touristique est la plus pertinente pour leur territoire et pour leur enfants ?
- Investir dans le T3 pour un tourisme de passage qui (peut être) va résoudre les financement du fonctionnement du téléphérique, mais forcément va les mettre pieds et poings liés entre les mains de la SATA.
- Ou s’impliquer massivement pour un tourisme résidentiel de qualité avec une gestion maitrisée et raisonnable du téléphérique, la SATA n’étant qu’une entreprise de transport. Par exemple, en s’appuyant sur le travail très documenté et structuré d’Enora une doctorante du LECA , d’ailleurs soutenue par le Parc) et en organisant localement de véritables états généraux de la transition du tourisme en montagne.
Faut-il sourire d’une équipe municipale tétanisée face à la SATA, de peur de perdre le « seul » opérateur qui va sauver le téléphérique. Avec un seul leitmotiv, « Le T3 ou la mort » ou « There is NO alternative » pour reprendre une phrase célèbre.
Sourions au moins à la Vie et à la beauté de notre environnement en essayant d’apaiser les tensions d’un conflit, qui malheureusement est maintenant inévitable avec le refus par la mairie de La Grave de la proposition d’un moratoire par le collectif La Grave Autrement.
Et surtout essayons de sauvegarder cet espace de Wilderness que représente le Dôme de Lauze et le glacier de La Girose. Un espace hautement symbolique…
On compte sur vous !
Paulo Grobel, le 30 Août 2020
Une petite compilation des échanges sur FB serait également très intéressante…
En annexe, voici une petite interrogation sur la notion de transition du tourisme.
« Pour opérer la transition du tourisme on se focalise sur le changement de l’offre, et plus particulièrement qu’offrir pour remplacer ou compléter le ski ?
Mais, in fine, le moteur de la transition du tourisme ne viendra-t-il pas du changement de la demande ?
Le développement des parcs de loisirs, des méga stations de ski reliées et celui des croisières de masse interroge. L’industrie du tourisme répond à la demande potentielle pour ces loisirs de masse et met en chantier de quoi la satisfaire (comme le projet Grand Oisans). S’il y a demande, l’industrie (au sens large) mettra en face une offre.
Comment montrer à l’opinion publique, que la consommation de loisirs est une impasse, que la simple idée du Grand Oisans ou même du nouveau T3 de La Grave est une fuite en avant d’un temps révolu.
Yuval Noah Harari dans son ouvrage « Sapiens » met en avant l’existence d’une réalité imaginaire, chose à laquelle tout le monde croit « tant que cette croyance commune persiste, la réalité imaginaire exerce une force dans le monde ».
« …ce que les gens considèrent comme leurs désirs personnels les plus égoïstes sont habituellement programmés par l’ordre imaginaire. Prenons l’exemple du désir populaire de prendre des vacances à l’étranger….L’élite de l’Egypte ancienne dépensa des fortunes à bâtir des pyramides … mais aucun de ses membres ne songea à passer des vacances de ski en Phénicie. De nos jours, les gens dépensent de grosses sommes en vacances à l’étranger parce que ce sont de vrais croyants, adeptes des mythes de consommation romantique. »
« L’ordre imaginaire [est] intersubjectif [il] existe dans l’imagination partagée de milliers et des millions de gens …pour changer à un ordre imaginaire existant il faut d’abord croire à un ordre de substitution »
Sommes-nous capable, dans ce micro territoire de La Grave-Villar d’Arène de collaborer à l’élaboration d’un ordre imaginaire de substitution pour une montagne à vivre ! Pour « notre » montagne à vivre et à partager ….
En valorisant simplement l’existant…
Merci pour cette mise en perspective éclairante et stimulante.