Le soleil matinal embrase déjà le sommet de l’Annapurna II.
Il est temps d’allumer le réchaud pour le petit déjeuner. Rien ne presse aujourd’hui, nous allons explorer les environs et le glacier du Kajin Sara pour comprendre quels itinéraires envisager pour la suite de notre histoire. Nous sommes dans un petit vallon morainique enneigé, à deux pas du glacier. Les sommets qui nous entourent n’ont pas de nom, comme s’ils n’existaient pas et nous n’avons bien sûr aucune information s’ils ont été fréquentés ou non.
Aucune trace de passage, aucun cairn.
Nous vivons un alpinisme d’exploration comme au début du siècle dernier, à l’ère des pionniers de l’himalayisme. Alors que nous sommes des alpinistes ordinaires, plus ou moins vieillissants. C’est à la fois surprenant, inespéré et jubilatoire. Cela nous oblige surtout à prendre le temps de nous imprégner des lieux, en comprendre les réalités. Nous resterons donc presque une semaine à découvrir les glaciers et sommets autour du lac.
Quels itinéraires choisir ?
Quelle est la difficulté de ces sommets ?
Quel matériel faut-il ?
Comment redescendre des sommets ?
Comment organiser les cordées entre occidentaux plus ou moins expérimentés et népalais, summiters de l’Everest, mais « incompétents » avec une corde en technique alpine ?
Nous rentrerons comblés de cette expérience surprenante, en ayant réussi notre pari : découvrir un nouveau lieu et en partager les clefs indispensables.
Et surtout quel pied de nez à la surenchère de la marchandisation de l’himalayisme. L’Himalaya n’est pas uniquement cette caricature de l’Everest et des 8000, ni même l’Himlung désormais si fréquenté et bardé de cordes fixes.
L’himalayisme est radicalement multiforme et d’une richesse infinie.
C’est une expédition qui s’est décidée au dernier moment, en mai, après l’annulation du projet Saipal, et sur une idée de Damien Haxaire.
Nous y avions vécu en 2022 une expérience traumatisante sur le Lamjung Himal, avec des chutes de neige incroyables (plus de 4 m en cumulé sur 10 jours !) au camp de base.
Mais de petits sommets à proximité, juste entraperçus sous la neige, nous avaient intrigués par leur esthétique et leur intérêt. Ils semblaient parfaitement adaptés un enseignement de l’alpinisme et très accessibles pour nos amis népalais.
Ainsi est né Kajin Sara Project, avec une forte dimension d’exploration, mais aussi de partage de compétences et de solidarité. En très peu de temps un groupe s’est constitué, malgré la galère de l’aérien et des billets à des tarifs vertigineux. Et nous avons même pu nous retrouver au refuge du Plan de l’Aiguille pour un week end de préparation.
Le début du voyage.
Nous serons huit personnes à nous retrouver à la terrasse habituelle de Padma Hotel à Boudhanath, en face du grand stupa. Toujours aussi dépaysant et impressionnant.
Départ le lendemain pour un trajet bien connu, la route de Pokhara et un hôtel confortable à Besisahar. Quelle galère cette route !
Le lendemain la piste pour Koto est presque une formalité. Puis c’est le début d’un trek de trois jours plutôt tranquille jusqu’au lac de Kajin Sara où nous espérons installer notre camp de base. Mince, nous n’avons pas assez de mules. Elles sont toutes engagées sur les expéditions à l’Himlung, dans la vallée de Phu. Nous réorganisons nos bagages et le muletier fera donc un deuxième voyage.
Une expé solidaire ?
Se retrouver ainsi avec Dema Bothe et Kumari Kulung est un pur bonheur.
DEMA est l’une des filles de Rajan, alpiniste népalais talentueux, avec qui j’ai réalisé beaucoup d’expéditions, petites ou grandes. Il est décédé suite à une maladie de retour du Kanch il y a déjà 5 ans et nous avons décidé de soutenir la scolarité de ces deux filles (déjà orphelines de leur maman). Un site web RAJAN-FAMILY est dédié à cette réalité dramatique.
Mais la vie continue et Dema a maintenant 16 ans, elle était en congé scolaire et la surprise est totale pour nous. Merci aussi à Bishal !
Et c’est Kumari, guide de trek avec nous, et qui a été aussi aide-gardienne au refuge des Écrins cet été, qui prendra soin de Dema, immergée pour la première fois en montagne et avec un groupe d’occidentaux. Elles s’en sont plutôt bien sorties toutes les deux !!!
Un trek et la première expérimentation de la Medical Map, l'outil médical de la Magic Map.
En Himalaya, la Cartographie Systémique des Vigilances est devenue la Magic Map (en anglais) et nous allons expérimenter la partie médicale de cette préparation graphique, en remplissant un suivi de notre état sanitaire. C’est une préparation pour la prochaine expédition médicale de l’IFREMMONT, à l’automne 2025 vers le Tukuche Peak et le Mukot Himal.
Il s’agit de préserver le capital santé de chacun pour arriver en pleine forme au camp de base où commenceront les choses sérieuses. Et paradoxalement, c’est dans cette partie trek, qui semble toute simple, que se joue parfois la réussite d’un sommet.
La partie centrale de la Magic Map reste le gribouillon, le croquis de l’itinéraire de la journée. Ce qui nécessite une bonne connaissance des lieux ou des topos en mode CSV.
Le Camp de Base du Kajin Sara.
Il fait grand beau, et surtout les prévisions sont bonnes pour toute la semaine. Incroyable…
Trois jours plus tard, nous sommes confortablement installés dans une petite vallée d’alpage avec une bâtisse un peu rustique pour l’équipe de cuisine. Le lac est à moins de 2 heures de marche au-dessus et le sentier est très bien tracé. Nous renonçons à nous installer à proximité du lac car il y a trop de neige sur le sentier pour les mules et peu d’emplacements confortables.
La partie alpinisme peut maintenant commencer et nous voici devenus explorateurs !
Première rotation d’acclimatation.
Il s’agit de trouver un emplacement pour le camp d’altitude, d’y transporter notre matériel et d’y dormir une première nuit.
Puis le lendemain de faire un premier petit sommet de reconnaissance avant de redescendre au camp de base. Ce sera le Kumari Peak et le début de l’arête Nord du Karma Himal. Il fait toujours aussi beau.
Et, au camp de base, les mules sont bien au rendez-vous avec le reste de notre matériel. Tout s’enchaîne pour le mieux.
On s’installe définitivement au camp 1.
Certains se reposent une journée au camp de base, pendant que d’autres s’installent déjà en altitude, pour une expé « à la carte » !
En haut, il s’agit de prendre le temps d’explorer les accès aux glaciers et au sommets. Puis de décider quelles voies seront les plus adaptées au niveau de chacun. Je n’ai jamais fait ce style de reconnaissance dans une expé himalayenne et les sommets semblent bien techniques, beaucoup plus que les sommets habituels et bien sûr que l’Himlung.
Comment seront les glaciers et les itinéraires d’accès ?
Nous sommes surtout en technique alpine et cela change beaucoup de choses pour nos compagnons népalais. Pas de corde fixe et un engagement certain. Par contre, un temps radieux et des sacs légers « à la journée ».
Nos journées s’enchaînent tranquillement jusqu’au moment où notre ange-gardien météo nous ramène à la réalité.
Des précipitations sont annoncées dans les cumulus des prochains jours. Plus de 20 cm à 3400 m. Cela nous rappelle de mauvais souvenirs et surtout les mules n’aiment pas du tout la neige et nous encore moins transporter tous nos bagages jusque dans la vallée. Il nous faut avancer notre départ d’une journée et être efficace. Un coup de fil plus tard, les mules seront au camp de base demain soir. Juste le temps de rendre un dernière visite au Haxaire Pass, avec une courte pente à 70°. Trop bien pour clore notre séjour en beauté et vite s’éclipser avant la neige.
Le sentier d'accès du Kajin Sara Lake.
C’est un itinéraire de randonnée relativement simple, qui sera amélioré de saison en saison par l’ACAP et la Rural Municipality de Chame.
Il peut être réalisé en trois jours de montée et deux jours de descente avec des bâtiments relativement solides mais rustiques pouvant servir d’abris. Un teashop a été ouvert à la première étape.
Pour un séjour d’alpinisme au camp de base, un transport du matériel avec des mules peut être organisé facilement à partir de Chame. Nous utilisons les services de Karma, du News Mountain Lodge de Koto.
Depuis Chame. J 1
Rejoindre l’hôpital et passer derrière le camp militaire en empruntant une piste dans la forêt.
La quitter pour emprunter un sentier qui monte assez raide en lacets. Une traversée vers la droite conduit à une rivière puis à un large replat dans la forêt. Deux pancartes indiquent le camp de base du Lamjung ou le Kajin Sara Lake. Au final, les deux itinéraires vont au même endroit, à Dharmasala. Prendre celui de gauche qui descend un peu puis traverse longuement jusqu’à une arête avec une vue plongeante sur Chame. Continuer sur l’arête (belvédère) avec quelques bosses à traverser, jusqu’à la bâtisse de Dharmasala (3700 m). C’est l’itinéraire le plus agréable ( 3 à 4 h). Deux points d’eau.
Dharmasala 2 (4300 m), J 2.
On quitte la forêt et l’étape est plutôt courte, mais en altitude.
Remonter une combe jusqu’à un replat herbeux et une pancarte Lamjung Base Camp (ce qui est totalement faux). Le sentier continue en traversée puis devient très bien tracé, presque une piste, jusqu’à un col (Kharka d’été et gouille). Le grand sentier continue par des lacets puis traverse a gauche jusqu’à une rivière entre deux moraines. Une dernière traversée à flanc et une combe conduisent à un grand replat avec la deuxième cabane qui a été bousculée par une avalanche et sommairement reconstruite. Le sentier n’a pas été retaillé dans la combe et pour le début de l’étape suivante (à l’automne 2024).
Nous avons appelé ce camp Dharmasala 2 (?), et il y a parfois un problème d’eau en fonction de la saison. Ce qui oblige à cumuler cette étape avec la suivante.
Kajin Sara Base Camp (4700 m), J3.
De nouveau une étape un peu courte (moins de 4 h).
Le sentier est au début peu marqué, en traversée légèrement descendante dans des pentes un peu raides et deux talweg, jusqu’à atteindre l’autre versant de la vallée. Remonter des pentes herbeuses en direction des barres rocheuses. Le passage est peu évident et se dévoile seulement à la fin. C’est un couloir pierreux qui semble malcommode mais où le sentier redevient mieux marqué avec des cairns. Puis au-dessus des barres le sentier a été retaillé. Il traverse horizontalement à gauche jusqu’à rejoindre le fond du vallon (un lac et une bergerie sont visibles en contre-bas).
La bâtisse du camp de base est plutôt bien construite et confortable pour l’équipe de cuisine et il y a de la place pour monter les tentes.
La montée au lac de Kajin Sara.
Juste deux heures de randonnée sur un sentier initialement très bien tracé puis plus pierreux juste avant le lac.
Il devrait être possible de bâtir un camp sur la bosse à droite du lac, mais le parcours est peut-être trop rocheux pour les mules et l’emplacement nécessitera forcément un peu de terrassement.
Le camp 1 du Kajin Sara.
C’est le camp que nous avons utilisé durant tout notre séjour, dans un petit vallon morainique à gauche du lac et à proximité immédiate du glacier.
Un peu avant le lac, quand le sentier s’élève vers la droite, prendre la combe principale en direction d’une grande croupe. La remonter, puis redescendre légèrement à gauche dans le vallon qui est relativement abrité du vent. En remontant la pente au-dessus du camp, Il est possible de rejoindre la bordure du glacier et d’y installer directement un autre camp.
Permis de trek et d'ascension ?
C’est un sujet intéressant et peut être une bonne nouvelle.
Les sommets sont tellement minuscules qu’ils passent sous le radar des règlementations actuelles. Et bien sûr, aucun sommet du massif de Kajin Sara n’est autorisé par le ministère du tourisme et présent sur la liste officielle. Mais il semble possible de présenter ce massif comme un lieu d’entraînement, d’enseignement, pour les alpinistes népalais comme pour nous.
Et c’est pourquoi, nous n’avons déclaré aucune première ascension, ni documenté ces itinéraires. Pour laisser à cette espace une dimension exploratoire unique (une référence aussi à des textes cultes de Bernard Amy).
Glaciers, cols et sommets du massif du Kajin Sara.
Une simple lecture de la carte ne permet pas de visualiser clairement les différents sommets et leurs accès. Avec Pawan d’Himalayan Map nous sommes en train de préparer une carte précise des lieux au 1/60 000 ou 1/50 000. Peut être sera-t-elle imprimée pour l’automne 2025.
Les glaciers.
Les trois principaux glaciers de ce petit massif.
Le Kajin Glacier sous le sommet du Kajin Sara.
Le Haxaire Glacier sous le col toponyme.
Et un troisième , le Samaya Glacier sous le sommet avant le Chame Peak. Le Samaya Himal of course !
Sans oublier le glacier principal qui descend du Chame Peak et du Lamjung Pass. Un glacier très intéressant pour y réaliser des apprentissages techniques.
Deux cols majeurs.
Le Col Infranchissable, entre les sommets du Kajin Sara et le Karma Himal.
Le Haxaire Pass, entre le sommet à gauche du Kajin Sara et le Samaya Himal.
Un troisième col, plus compliqué, n’a pas été approché entre le Samaya Himal et le Chame Peak.
Les sommets du massif Kajin Sara.
Le Kajin Sara
C’est la montagne directement en face du lac. Elle se compose de deux sommets, le Kajin Sara, le plus haut et le Chautari Peak, juste devant et moins haut. (Un chautari est un lieu de repos pour les villageois, les porteurs, très fréquents sur les sentiers du Népal).
Le Chautari Peak peut être traversé avant de gravir le Kajin Sara. Il présente deux arêtes rocheuses et mixte, Nord et Est, de difficulté PD+, à confirmer en fonction des conditions.
En versant nord, un glacier suspendu et le couloir Saint Martin donnent également accès au sommet par des pentes de neige.
Une arête Ouest part du Kajin Sara jusqu’à un sommet individualisé par une très belle arête de neige, le Cyrielle Ridge.
Kumari Peak and Karma Himal.
Plusieurs sommets sur cette arête Nord-Sud entre le Kajin Sara et le Myabase Himal 5422.
Le Kumari Peak est accessible sans parcours glaciaire, c’est une arête de neige se terminant par un court passage rocheux (PD-). En continuant l’arête, d’abord neigeuse puis plus rocheuse jusqu’à un sommet surplombant, le Dema Hat. Puis, quelques pointes rocheuses, avant le sommet principal rocheux, Karma Himal.
Depuis le Col Infranchissable, une arête Sud en rocher semble particulièrement intéressante et pas trop difficile..
Sanu Moussa Ridge est l’arête qui relie le col au nord du Kumari Peak et le Myabase Himal. C’est une arête plutôt simple de style crapahut et très panoramique. La descente peut être réalisée en traversant le sommet par l’arête Ouest, directement vers le camp de base du Kajin Sara.
Le Samaya Himal
C’est le sommet à l’Est de l’Haxaire Pass et avant le Chame Peak. Son arête Nord est particulièrement esthétique et l’arête Est très rocheuse est incroyable. Tout est encore à documenter…
Toni Hagen Peak
Faire connaitre ce petit sommet, peut être y aller un jour et le documenter. Quel beau projet.
Nous sommes ici sur l’autre versant du Kajin Sara, au-dessus des alpages du Namung La où passe un itinéraire un peu mystérieux, le Hagen Trek. Regardez la carte au-dessus et le tracé jaune qui est totalement faux avec un nom pas du tout adapté (Namun Bhanjyang à 5550). Il Faut changer cela et dédié ce beau petit sommet à une personnalité majeur de l’Himalaya et du Népal : Toni HAGEN.
C’est une autre partie de ce petit massif, et qui nécessite d’installer un nouveau camp de base. Voici un début de documentation sur les sommets avecun article sur le Lamjung Himal.
Le Chame Peak
Le Lamjung Spitzen
Ce nom surprenant est bien sûr historique.
Ce sont des informations que Rodolphe Popier, de l’Himalayan Data Base, devrait pouvoir documenter (à suivre). Plusieurs itinéraires sont possible en particulier une arête Sud depuis le Lamjung Pass très esthétique. Un beau projet assurément.