Tout commence par une histoire de carte. Mais de cartes fausses…
Dans les pages d’Annapurna 1er 8000, on découvre un croquis de carte avec ce commentaire de Maurice Herzog : « Ces croquis font apparaitre les différences fondamentales entre la carte indienne, seul élément dont nous disposions au départ et le tracé réel des arêtes du Dhaulagiri. Le choix de Tukucha comme base avait été inspiré par la proximité de cette « vallée coudée » qui semblait donner accès au versant Nord du Dhaulagiri. »
Sur les traces de Terray et Oudot vers le Vallée Inconnue et au Col des Français.
Au village de Tukuche, début Mai 1950
« Voici l’histoire depuis le début, explique posément Oudot. Le 3, nous avons installé nos tentes vers 4500 m entre vos deux camps. Le lendemain, nous avons passé la nuit dans la Vallée Inconnue. Arrivés au col, les coolies ont fait quelques difficultés. Ils avaient peur : jamais ils n’avaient dépassé cette limite. hier matin à la première heure, Lionel et moi nous avons atteint le col que vous aviez vu de loin et qui limite le bassin nord du Dhaula. Alors là, mon vieux… »
Pour l’équipe d’Herzog, l’idée de gravir le Dhaulagiri est alors définitivement abandonnée. Depuis le Col des Français, le Dhaula est trop impressionnant et le glacier à son pied trop gigantesque. Tous les efforts de l’expédition vont maintenant se tourner vers le sommet de l’Annapurna, avec l’histoire que l’on connait.
Le nom de Vallée Inconnue a été donné initialement par Marcel Ichac lors de la première reconnaissance avec Herzog et Terray. La traduction actuelle de Hidden Valley, que l’on retrouve sur toutes les cartes de trek, ne correspond donc pas au nom initial. Mais la Vallée Cachée reste toujours aussi mystérieuse.
Entre deux montagnes, la Kali Gandaki.
De son ancien nom Saligrami (en référence aux saligrames, des fossiles d’ammonite associés à Vishnu), la Kali Gandaki prend sa source au Nord du Mustang près du village de Namdrol ou, peut être plus à l’Est au pied du grand glacier du Lugula.
La rivière s’appelle alors TSANG-PO, (the clear one) en tibétain et MUSTANG KHOLA en népali. En aval de Jomosom, à l’entrée du territoire Takali elle devient la THAK KHOLA, puis quand elle parcourt les collines, la voici nommée KALI GANDAKI et parfois KRSNA GANDAKI avant d’être rejoint par la Marsyangdi et la Trisuli à Deo Ghat.
Dans le Terai, elle s’appelle désormais NARAYANI puis de l’autre côté de la frontière, GANDAK.
Un accès au Dhaulagiri et un mega trek.
Bien des année plus tard, le Dampus Pass et le Col des Français deviendra l’accès le plus rapide pour rejoindre le camp de base du Dhaulagiri. Ce camp de base est maintenant accessible par des mules en début d’automne et avant les premières chutes de neige. Un accès exigeant mais efficace, surtout au retour, même si beaucoup d’alpinistes préfèrent le confort de l’hélicoptère.
Les randonneurs eux, remontent toute la vallée depuis Darbang et Muri, pour faire le tour du Dhaulagiri. Un itinéraire souvent qualifié de méga trek. Au delà de sa difficulté et des passages en altitude, c’est un trek exceptionnel, dans un cadre exigeant de très haute montagne. Mais surtout, les difficultés se situent tout au bout de la vallée et gare à l’arrivée du mauvais temps, car la décision d’un demi-tour est souvent difficile à prendre pour le sirdar du trek.
Pour l’équipe népalaise, la Vallée Cachée représente parfois une souricière mortelle pour qui se fait prendre par la neige entre le col des Français et le Dhampus Pass, surtout avec un équipement rudimentaire et une charge importante.
Revenons au livre d’Herzog… Et aux Takalis.
Que nous dit-t-il de cette région entre Annapurna et Dhaulagiri, la vallée la plus profonde du monde où coule la Khali Gandaki ?
Tukuche, qui était le camp de base de l’expédition est maintenant devenu une bourgade sans âme traversée par une piste poussiéreuse, qui sera bientôt un axe routier majeur et goudronné vers la Chine. Mais, en ce temps là, Herzog découvre que Tukuche est le centre du pouvoir Takali et le lieu de résidence d’un personnage local très influant, le Subba, le collecteur d’impôt de la route du sel de l’ethnie Takali, qui rendra de grands services aux étrangers de passage.
Mais qui est donc ce Subba de l’ethnie Takali ? Et les Takalis existent-ils encore ?
Aujourd’hui, les Takalis, il faudrait d’ailleurs parler des Thamang Takali, habitent une poignée de villages regroupés sur les rives de la Tak Khola. Dans les chroniques historiques, il est question de deux communautés distantes, regroupées géographiquement sous les appellations THAKSATSAE, les 70 maisons des 13 villages.
C’est donc un tout petit groupe ethnique qui semble avoir perdu son identité culturelle originelle tibétaine mais qui a joué un grand rôle dans l’histoire de la vallée, durant une courte période, à l’époque du « Bhot ko noon », le sel du Tibet. Ce sel était considéré comme un produit extrêmement lucratif qui a joué un rôle important dans la vie sociale et économique de ce territoire transhimalyan. De 1862 à 1942, aux postes frontières de Tukuche et Dana, le collecteur des impôts reçoit le titre de Subba par la dynastie Rana alors au pouvoir. Il possède aussi le monopole du commerce de ce sel, qu’il achète et revend, mais aussi transporte sur ces propre animaux de bat. Cet enrichissement rapide se double d’un pouvoir politique et judiciaire sur la communauté. Les familles du Subba et les Tamang Takali deviennent une aristocratie puissante, jusqu’à la chute de ce commerce du sel et du « Noon ko batu », à cause de l’invasion du Tibet par la Chine et la présence les Kampas de l’armée tibétaine, au Mustang.
Beaucoup de familles Takali se sont déplacées vers la plaine, puis le tourisme et la culture des pommes à Marpha se sont développés, forcément bousculés maintenant par l’arrivée de la route. Si les temples et les fresques associés à la culture Takali ont quasi disparu, il nous reste de belles maisons blanchies à la chaux à Marpha et dans les villages des alentours.
Mais qu’en est-il de cette voie de commerce ancestrale de la Kali Gandaki ?
Rendez-vous pour la prochaine chronique de la Hidden Valley pour découvrir ce qu’elle est devenue.