Voici le compte rendu du premier séjour au Pays de la Meije de mon été 2016 dans les Alpes.
Avec Claire, Olivier et Gérard.
Claire a même trouvé l’énergie de poser des mots sur notre escapade en face de la maison. Trop top…
L’objectif était de valider le passage de « Lo Séré Dou Tsavon » depuis le glacier en face Nord de la Meije,
Mais aussi :
- de réhabiliter ce bel itinéraire glaciaire en traversée du Refuge du Promontoire au Refuge de l’Aigle,
- de promouvoir la pratique de la montagne en début de l’été (dès la mi juin jusqu’à la mi juillet)
- et de soutenir les gardiens de refuge qui font l’effort de garder leurs refuges dès cette période.
Au final, le message est très simple pour le début de l’été prochain.
Surtout allez y… c’est un très beau voyage en Meije !
Voir aussi sur la toile:
- Les Enfetchores, un topo de l’itinéraire
- Et sur FB : « En Meije, « changer d’approche » ou « équipements obsolètes » ?
Au sujet des cables à La Meije. Le 23 août 2016. »
« Lo Séré Dou Tsavon » par Claire…
Un dimanche, fin d’après-midi, aux Hières.
Il fait bon, un petit nuage doré trace sa route dans l’air du soir. Je suis à l’aube de ma première semaine d’alpinisme et je ressens un je ne-sais-quoi d’excitation, d’attente anxieuse et ravie.
Car demain matin, nous partons, Paulo, Gérard, Olivier et moi, en pays de Meije.
Lundi commence par une montée de paresseux : nous prenons le téléphérique de la Meije, après l’incontournable pause pain au chocolat ! Nous voici bientôt propulsés à 3200m.
Objectif de la journée : comme mise en jambe, le sommet du râteau W. De la neige, du rocher, des longueurs longues, des longueurs courtes… j’apprivoise doucement les techniques de base, qui pour l’instant me semblent aussi limpides qu’un grand sac de nœuds.
Je redécouvre la marche en crampons, le contact de ma main sur le rocher, l’appréhension de la pente en même temps que l’ivresse du vide sous mon pied.
On s’arrête un peu en-dessous du sommet, ça suffit pour aujourd’hui. Pause déjeuner. Je savoure mon bout de fromage écrasé dans des miettes de pain. Il m’aurait paru bien insipide en vallée, mais ici il a le goût des hauteurs.
Retour au téléphérique puis descente par les grands névés jusqu’au refuge Evariste Chancel. Ce n’est plus de l’alpinisme, ce n’est pas vraiment de la rando. C’est plutôt une sorte de joyeuse luge-glissade d’été dont l’esthétique n’a d’égale que la périlleuse instabilité.
La large terrasse en bois de Chancel fait figure de rampe d’atterrissage après notre joyeuse débaroulade.
Les gardiens Annie et Daniel y prennent le chaud soleil de juillet sur la terrasse. Ce soir, nous avons le refuge pour nous. A l’intérieur nous attendent la soupe fumante, l’assortiment de légumes, et le sacro-saint génépi, pendant que les étoiles viennent parsemer le ciel avec le jour qui décline.
Mardi, réveil matinal pour une longue journée.
Au menu, remonter les Enfetchores, passer la Brêche de la Meije, et redescendre de l’autre côté, au refuge du Promontoire. Après une bonne marche d’approche, nous voici au pied de l’enchaînement rocheux, qui vu d’en dessous me semble interminable, et surtout insurmontable…
Mais par où va-t-on bien pouvoir passer ?
Et déjà, par où commencer ?
Hier encordée avec Paulo, aujourd’hui mon compagnon de route est le blond Olivier. Voilà que nous nous soumettons mutuellement notre vie.
Etrange sentiment que celui de devenir si vite, si proche de quelqu’un qu’il y a quelques jours je ne connaissais pas.
La remontée des Enfetchores, finalement, ça passe, Paulo avait donc raison.
De rocher en rocher, de vire en vire, subtilement nous progressons. J’apprends l’art de la précision, de poser le pied au bon endroit, sans précipitation. L’assurage dynamique, la synchronisation avec mon compagnon de cordée, tous deux engagés dans le même mouvement. Mais il commence à pleuvoir, une demi-heure trop tôt…le rocher va devenir glissant ! Heureusement, on est presque en haut. Nous croisons un groupe d’espagnols qui viennent du Promontoire et tentent de redescendre à La Grave. Mais ils sont sept, certains ne sont pas expérimentés pour cet itinéraire de descente plus difficile et périlleux que la montée, et ils perdent du temps…sur les conseils de Paulo et Gérard, ils décident alors de retourner au Promontoire.
Quant à nous, devançant les espagnols, nous prenons pied sur le glacier de la Meije. Il n’y a plus qu’à remonter. Après la rimaye et juste avant la brèche, la pente se fait plus relevée. Quelques passages en glace qui font crisser les crampons…et nous passons la brêche ! La descente vers le Promontoire est en neige fondue, je sens mon pied qui glisse à chaque instant. Il s’est mis à faire froid, venteux, neigeux. La montagne revêt son habit des mauvais jours. J’essaye de maintenir ma vigilance malgré la fatigue qui s’accumule et mes paupières qui se relâchent. Le temps s’étire, se prélasse, se joue de mon impatience.
Enfin nous arrivons, enivrés de blizzard, au Promontoire.
Accroché au flanc de la reine Meije, ce soir cachée dans la tourmente. Les murs du vieux refuge respirent l’atmosphère du fébrile avant-départ, l’inquiétude de la nuit qui précède les courses engagées…la traversée des arêtes, le grand pic, la voie du Z … courses mythiques dont je me contente d’encenser le nom, mais qui désormais, nourriront mes rêves. Pour ce soir, il fait un peu froid dans les dortoirs, mais l’apéro du gardien et l’irruption des espagnols enfin au bout de leurs peines vont rapidement réchauffer l’atmosphère.
Mercredi – Journée grandiose s’il en est.
Nous allons repasser la brêche en sens inverse, pour nous diriger vers le couloir du Serret du savon, et atterrir de l’autre côté, au refuge de l’Aigle. J’en frémis d’impatience, ce qui ne m’empêche pas d’être un peu ralentie le matin et de mettre deux fois plus de temps que les autres pour finir mon bol de thé, ranger mon pyjama, ouvrir grand mes yeux collés du matin, et fermer mon sac. En tout cas, à journée grandiose, météo grandiose. Le vallon des Etançons rayonne et c’est sur une neige cette fois bien gelée que nous repassons la brèche. Nous retrouvons le versant quitté la veille. Le haut des Enfetchores, baigné de lumière par le sacre du jour.
Derrière, tout en bas, encore endormi dans la nuit, le versant d’en face égrène son chapelet de villages : Le Chazelet, Ventelon, Les Terrasses, Les Hières que nous avons quittés lundi matin… petits points brillants reliés par un mince ruban d’asphalt.
Qu’elle est belle, cette traversée sous la face Nord de la Meije. Quel intense sentiment d’absolu…
et nous voici déjà au bas du couloir. Le Serret du savon, drôle de nom…peut-être une marque de lessive ? Je suis toujours encordée avec Olivier, on ne change pas une équipe qui gagne. A force de pratique, de passage en second, puis en premier, puis de nouveau en second, à allonger la corde, à la raccourcir, à me demander si le danger vient plutôt du risque de glissade ou du risque de chute en crevasse, à regarder Olivier faire ses anneaux de buste, à écouter les conseils de Paulo, je commence à intégrer quelques mécanismes. Pour la remontée du couloir, nous restons encordés. Et nous nous engageons bientôt dans un corps à corps avec la montagne. Nous la meurtrissons de nos coups de crampons et piolets, en même temps que nous l’embrassons à plein bras, de tout notre cœur, le souffle parfois court, les muscles à l’ouvrage, pour se hisser plus haut, toujours plus haut, vers la sortie. C’est enfin dans une belle et confortable pente que nous rejoignons, après avoir repris quelques forces, le petit refuge de l’Aigle, perché sur son rocher.
L’accueil y est à la mesure de cette journée. Le nouveau refuge de l’Aigle a été rénové dans l’esprit de l’ancien : dedans, après le sas de rangement des affaires, une unique pièce à vivre et à dormir. Les couchages se superposent sur 3 niveaux, on y accède par de grandes échelles. On se croirait dans un sous-marin des neiges. Louis, le gardien, nous installe dans le petit coin des guides : une mezzanine toute en bois, un peu isolée des autres couchages, une mini-intimité dans cette grande pièce où l’on partage tout !
Nous installons nos affaires pour deux nuits. Le refuge est rempli et des cordées arrivent petit à petit, principalement de la vallée. Pour nous, la journée est finie. Il ne nous reste qu’à savourer les crêpes maison et le gâteau au chocolat de Louis, point d’orgue de cette fantastique journée…
Jeudi – J’exulte dans les délices du sommeil réparateur.
Je voudrais qu’on ne me réveille jamais, la douce tiédeur du refuge m’enveloppe et me protège. Même Olivier qui ronfle n’arrive pas à me déranger. Et pourtant, une petite musique vient me picoter le cerveau. Qu’est-ce que c’est que ça…on dirait de l’accordéon…il y a de l’accordéon dans mes rêves…je résiste, je lutte avec force, puis n’arrivant plus à résister j’ouvre brusquement les yeux.
C’est Louis, qui sonne le réveil à l’accordéon !!! Moment magique empreint de fête folklorique, à 4h30 du matin. La journée commence bien.
Aujourd’hui, nous allons au doigt de Dieu. Gérard a décidé de rester au refuge, nous partons donc Paulo, Olivier et moi et nous encordons tous les trois. Et l’on s’aperçoit vite que la position la moins confortable, c’est celle du milieu, il faut tout le temps s’adapter soit à celui de devant soit à celui de derrière ! Nous nous élevons dans l’air de la nuit, bientôt le refuge n’est plus qu’un petit point lointain. Passée la rimaye, la pente se redresse fort, mais la neige est bonne. Ici, la pente ne permet pas l’assurage dynamique, il faut poser des points d’assurage. Puis de bon gros rochers en petits passages aériens, nous gagnons le sommet de ce Doigt tout penché, qui donne un peu le vertige. Et dire que Miss Brevoort y grimpait avec ses grandes jupes !!! Tout s’aplatit en-dessous. De tous côtés on voit à perte de vue. Le vallon des Etançons et son petit Promontoire. La Barre des Ecrins. Le Mont-Blanc. Dieu que c’est beau… J’ai toujours pensé que le paradis, s’il existait, se trouvait au sommet d’une montagne. Et aujourd’hui, je me plais à penser que je l’ai peut-être trouvé…
Mais il faut déjà redescendre, et en quelques rappels nous filons droit dans la pente. Je manque de peu de visiter l’intérieur de la rimaye en surestimant mon agilité, mais Olivier veille au grain. Ouf, nous voici les pieds sur la neige ! Et déjà de retour au refuge, où nous retrouvons Gérard, qui a profité de la matinée pour écrire, et les bonnes omelettes de Louis. L’après-midi, repos. C’est étrangement calme, un refuge l’après-midi. On regarde les heures passer en attendant la course du lendemain ou en se remémorant celle du matin, et on prend le temps de s’écouter respirer. Arrêt sur image sur un monde silencieux et glacé, où se regroupent à fleur de glacier les amoureux des solitudes blanches.
Dominique, guide de Vallouise, nous rejoint dans notre mezzanine et vient partager avec Paulo son amour du Grand Oisans, ses idées d’itinéraires sauvages et méconnus. Et des idées, il en a ! Paulo et son insatiable curiosité, Dominique et ses yeux qui sourient…une bien belle rencontre dans l’intimité du petit refuge. La discussion dure longtemps, et nous les écoutons parler d’itinéraires, d’histoire, de géographie, d’élevage d’ânes …
ô temps, suspends ton vol !
Et ce soir, lorsque le soleil se couchera, lorsque les petites lumières s’allumeront dans la vallée et que les alpinistes se glisseront sous leur couette, l’on apercevra encore longtemps, là-haut dans la traversée, deux lueurs de lampes torche qui avancent d’arête en arête…alors Louis préparera un plateau avec du gâteau au chocolat et du coca, qu’il laissera dans un petit coin de l’entrée, en cadeau de bienvenue et de repos enfin mérité…
Vendredi – Longue redescente jusqu’au pont des Brebis.
Nous quittons le monde minéral, pour retrouver celui des fleurs et des papillons. Arrive alors le moment de nous séparer, en début d’après-midi, après cette belle aventure écrite à quatre. J’ai l’humble impression de m’être aventurée sur des traces chargées d’histoire, avec l’insouciance émerveillée du néophyte.
La haute montagne…un monde qui m’était encore inconnu il y a peu, mais que lentement je fais mien, que j’apprivoise à petits pas. Car les montagnes sont à ceux qui les aiment. A ceux qui ont, un jour, porté leur regard vers elles en imaginant le début d’une histoire commune.
Paulo_Lundi 5 septembre 2016
Et, pour prendre un peu de hauteur une petite visite guidée du village des Hières…
Superbe récit, mais miss Brevoort ne grimpait pas en robe : juste en pantalon et en … bottines !!!
Blondin!
Et avec sa petite chienne !