La notion de projet en ski de randonnée, le « Faire Ensemble », l’accompagnement et la « Cartographie Systémique des Vigilances ». Un changement de paradigme ?
Le « Faire Ensemble » est né de mon choix pédagogique en tant que leader (et guide de haute montagne) pour répondre à cet objectif pour rendre plus fiable nos prises de décision : « l’augmentation du niveau de compétences de chaque membre d’un groupe permet d’élever le niveau de compétence et de sécurité de l’ensemble du groupe ».
Le leader est alors clairement dans une posture d’enseignant. Mais il dépasse largement ce cadre, car le « Faire ensemble » se conçoit surtout dans une dimension participative et de co-construction d’un projet en ski de randonnée. Le « Faire ensemble » dans sa forme opérationnelle enrichit considérablement le concept de projet, en réhabilitant la notion de membership et les interactions au sein du groupe. Il questionne la posture et la formation du leaders en proposant en plus un rôle d’accompagnant (au sens de Maéla Paul). Ce faire ensemble oblige également de reconsidérer le 3×3 en y ajoutant la notion fondamentale de débriefing et surtout propose un nouvel outil opérationnel, la Cartographie Systémique des Vigilances, issu de la vigilance encadrée.
Certains lecteurs auront certainement remarqués un changement de nom, du Gribouillon à la CSV, Cartographie Systémique des Vigilances. Issue de discussions passionnées (passionnantes) avec Jean Annequin et Dom. (Avec un grand merci à Gaby…).
La Cartographie Systémique des Vigilances
La Cartographie Systémique des Vigilances est une carte dédiée de la sortie projetée, augmentée et dynamique. Elle est co-construite par les participants et sert de référence sur le terrain et lors du débriefing, à l’analyse de la sortie. Bien évidemment la carte n’est pas le territoire, pour faire référence à une approche non aristotélicienne.
Cette CSV, malgré une forme gribouillée, s’inscrit dans le cadre d’un projet participatif en ski de randonnée et propose une implication concrète de l’ensemble des participants dans sa construction. C’est un outil d’aide à la décision, utilisé dans la préparation, sur le terrain et dans l’analyse du projet, qui devient ainsi véritablement co-construit.
C’est surtout un changement radical de la posture du leader qui, au delà du simple guidage ou de l’enseignement, devient un véritable accompagnant d’un projet de randonnée. Cette carte mentale des vigilance est une forme de cartographie, une représentation multi factorielle de la course qui s’élabore avec les participants et au fur et à mesure de sa construction. Il rend compte de plusieurs types de vigilance (et donc pas uniquement de la nivologie) pour les articuler entre elles dans une conception globale de la conduite de la sortie. L’objectif de cet article est d’en présenter une mise en oeuvre concrète avec ses étapes, mais aussi la posture du leader et les actions des participants.
Présenter sous forme de jeu ou de contribution artistique à laquelle tout le monde participe peut être très motivant et formateur. Pour en faire un document collaboratif, on prendra soin de proposer un support papier suffisamment grand (par exemple une nappe en papier d’un restaurant) pour que chacun puisse y gribouiller ces remarques, questions, suggestions ou envies.
Surtout, il faut absolument le conserver, car il servira de document de référence pour le débriefing.
La Cartographie Systémique des Vigilances... Concrètement ?
Dans la première étape, la préparation, il s’agit de rassembler toute l’équipe autour d’une table avec une grande feuille de papier vierge et des feutres de couleurs, pour réaliser une carte de nos déplacements, presque une feuille de route de nos manières de faire. Forcément, la taille du groupe est limitée et 6/7 personnes (leader compris) semble un maximum pour s’inscrire dans un faire ensemble participatif.
Ce qui est nouveau et capital, c’est que cette Cartographie des vigilances est élaboré avec, et même par les participants après une lecture minutieuse du BERA et du trajet sur IphiGéNie, pour que chacun visualise le relief et les pentes à 30°. La combinaison des deux permet de dessiner un croquis de la randonnée envisagée avec un premier positionnement des passages complexes et la nature du risque d’avalanche avec les différents niveaux de vigilance. Les points de décision sont également clairement positionnés sur le croquis, avec les critères d’observation précis à prendre en compte. À la montée comme à la descente !
Il reste maintenant à définir le rôle de chacun en fonction du niveau de ces vigilances.
- Qui fait la trace ?
- À tour de rôle ?
- En binôme ?
- Quel est le rôle du leader ?
- Jusqu’où « laisse-t-il faire » dans une vigilance Détendu ?
- Que fait-il dans une situation intermédiaire de style Méfiant ?
On se rappellera les différentes postures possible du leader en fonction du niveau de vigilance (le triangle inversé et l’article « vigilance & pédagogie ») Chacun peut s’exprimer sur ce qu’il a envie de faire, ou de ne pas faire durant la journée.
Aussi, plus classiquement, un horaire est défini avec les détails pratiques de l’organisation. Et pour finir, un tour de table sur la validation du projet conclut cette préparation.
Sur le terrain, la réalité se déroulera le mieux possible !
Parfois, rien ne se déroulera comme prévu, et la sortie nécessitera toutes les ressources d’adaptation de la part du leader comme des participants. Notre feuille de route, cette cartographie des vigilances, en sera largement bousculé. Dans la grande majorité des sorties, tout se passera bien d’un point de vue de la nivologie, mais peut être pas tant que ça dans les autres types de vigilance comme le fonctionnement de groupe ou la transmission de connaissances. Par exemple, une méta règle du « Faire Ensemble » est particulièrement importante, cette obligation de « rester ensemble » et elle sera souvent sujet à discussion, suite à quelques transgressions.
Le débriefing de la sortie est particulièrement important
Le débriefing de la sortie est donc particulièrement important, entre célébration d’un bon moment et travail structuré. Tous ensemble et devant une bonne bière, il nous faut prendre le temps d’analyser les décalages entre la cartographie du départ et sa concrétisation sur le terrain.
- Notre analyse de la situation a-t-elle été pertinente dans la qualification des vigilances ?
- Notre représentation a-t-elle été juste ?
- Les points de décisions ont-ils été respectés, était-ils opérationnels?
- Le roulement des taches a-t-il eu lieu ?
- Certaines personnes se sont-elles senties suffisamment à l’aise pour tracer, ou l’inverse ?
- Notre trace a-t-elle été optimum ?
- Que faut-il améliorer dans notre fonctionnement ?
- Qu’avons-nous appris individuellement durant cette journée ?
- Et comment construire ensemble une suite à cette sortie ?
La CSV, pour un début de conclusion
La mise en place de la Cartographie Systémique des Vigilances (CSV), dans une routine de préparation, demande forcément un apprentissage pour l’ensemble du groupe. Je suis très conscient de la difficulté pour un leader (quel qu’il soit) d’être enseignant ou encore plus accompagnant, mais c’est un très beau challenge personnel.
La CSV ne demande surtout qu’à être testé, amélioré par vos commentaires et réflexions, pour en fin d’hiver 2021 en faire une analyse complète.
Avec Dominique, nous ne pouvons que vous inviter à mettre en pratique la CSV, qui au-delà de consolider des prises de décisions plus fiables est aussi source de plus de plaisir partagé, pour chaque participant.
Paulo Grobel & Dominique Ansel... Le 3 Novembre 2020 pour préparer un prochain article sur le sujet dans la revue de l’ANENA.
Pour compléter cette page, d’autres articles de mon site :
Un commentaire de Jean Le-Core (formateur ANENA)
« Réflexion très intéressante.
Le « gribouillon des vigilances » est assurément un très bon exercice. Il
a le mérite d’être un support pour réfléchir ensemble avant, pendant, et
après. Néanmoins, selon le cadre et la sortie en jeu, il faut avoir
conscience qu’il faut du temps pour mener l’exercice. Un guide qui
récupère ses clients au pied de la benne, ou un initiateur fédéral qui
prend des inscriptions au local du club un jeudi soir, n’auront pas le
temps de mener cet exercice. En revanche, pour un raid à skis, qui se
prépare avec de l’anticipation, c’est une méthodologie à pratiquer et à
partager ! »
Bonjour Jean
Et surtout merci de ce retour qui fait avancer ma réflexion.
Je voudrais revenir sur la notion du temps nécessaire pour faire ce gribouillon, car je ne partage pas ta position.
Que nous dit ce gribouillon ?
1… Que la préparation d’une sortie est un élément constitutif de la randonnée.
2… Qu’il est important de matérialiser cette préparation pour la rendre concrète, utile sur le terrain et réutilisable pour le bilan de la sortie.
3… Que cette préparation est réalisé Par/ Avec TOUS les participants.
4… Que le leader « accompagne » cette préparation.
Donc c’est bien au leader de s’inscrire dans cette dynamique, dans cette exigence de qualité. D’être lui même convaincu de la nécessité d’une préparation qui prendra en compte la globalité des éléments de la sortie et d’être capable de la mettre en place, c’est à dire de convaincre/d’imposer ce temps de préparation.
Je sais que c’est difficile et que cela dépend de la personnalité (des compétences) du leader. C’est donc aussi un questionnement sur la formation des leaders. Et rien n’est plus complexe que de transformer des logiques de guidage en stratégie d’accompagnement.
Je reprends tes deux exemples :
« Un guide qui récupère ses clients au pied de la benne ».
Pas de souci…
Je suis à La Grave, et j’ai donné rendez-vous à mes clients au bistrot du coin, au Castillan. Notre objectif est de réaliser la traversée sur Saint Christophe. Suis-je capable en un quart d’heure ou (20mn max), de présenter et d’utiliser le BERA et la carto du coin et de dessiner ensemble un gribouillon, d’impliquer tout le monde pour faire dessiner un plan de route ?
Petite précision, nous sommes 6 (5+1) et la veille j’ai demandé à tout le monde d’avoir Iphigénie sur son téléphone. En plus de DVA/pelle/sonde.
OUI ! Sans aucun doute c’est possible !
Et je fais le parie que mes voyageurs d’un jour seront très intéressés par l’exercice. Et que si je les retrouve le lendemain, ce sera d’autant plus facile. Surtout si nous avons aussi fait l’effort d’analyser notre expérience ensemble devant une bonne bière au Castillan.
« un initiateur fédéral qui prend des inscriptions au local du club un jeudi soir ».
C’est encore plus facile, même avec la contrainte maxi où on ne se retrouvera que sur le parking samedi matin pour covoiturer !!!
Concrètement : le cadre (l’obligation) de la préparation sera posé dès le jeudi soir, avec les modalités et les informations à recueillir (BERA, carto de la rando). Nous aurons…, (ou plus simple, j’aurais) décidé d’un lieu et d’un objectif. De nouveau le groupe est réduit à 6+1 et chacun à Iphigénie !
Le samedi, vers la fin du trajet routier, nous nous arrêtons dans un bar pour un croissant café et nous mettons en commun toutes les informations recueilli par chacun en dessinant ensemble un gribouillon. L’objectif est d’être efficace et tout le monde est impliqué dans le processus.
Qui peut oser dire que ce n’est pas possible ?
Surtout dans le monde associatif où il n’y a aucun enjeux économique…
La question du temps…
Combien de temps effectif dure la mise en place d’un gribouillon des vigilances ?
Peut-on le réduire si notre temps est contraint (mais pourquoi donc notre temps est-il contraint, si la préparation fait partie de l’activité ?) ou plutôt peut on l’optimiser ?
Pour l’instant, peu de personnes ont réellement mis en place concrètement ce « Gribouillon », il faudra attendre un retour d’expérience plus documenté pour avoir aussi quelques recettes bien utiles.
Au plaisir de continuer cette discussion…
Paulo, le 4 novembre 2020
Une question posée par Catherine Courade (Formatrice ANENA et autrice d’articles sur le sujet dans la revue)
Faut-il intégrer au gribouillons un plan B ou C ?
Et ma réponse, qui questionne aussi ce qu’est un plan B.
Pour moi, je ne conçois de plan B que « montant ». Un plan B est un objectif « en plus » si tout se passe bien pour le plan A et il est intégré juste en filigrame, pour ne pas prendre trop de place.
Le plan A est donc adapté au groupe et ne devrait pas poser de problème pour être exécuté sereinement. Jusqu’à présent, nous avons plutôt modifié le plan A, illustré par le gribouillon, en plus ou en mieux. Mais l’expérimentation est encore à poursuivre.
A suivre donc…
Bonjour Paulo,
J’aime beaucoup cette approche, basée sur les modes de vigilance encadrée, et sur cette double idée :
– de réfléchir ensemble et d’imaginer avant le départ les modes de vigilance qu’on adoptera pendant la course
– et d’être de moins en moins leader et de plus en plus accompagnant.
Je suis moi même encadrant bénévole (CAF Embrun) et je rejoins la remarque de Jean : sauf raids ou séjours de plusieurs jours, c’est difficile de prendre le temps de se poser au bistrot entre le lieu de rdv et le parking de début de course. Je ne dis pas que c’est impossible, bien sûr ! Mais ça demande du changement et plus d’implication des participants.
En période de télétravail, ne pourrait-on pas imaginer d’inviter les participants à regarder/préparer l’itinéraire et à gribouilloner leurs cartes chez eux, même mentalement (identifier les zones ou passages clés en « méfiant » et « alerté »). Et puis au départ de la rando (après le group check DVA, ou en zone « détendue »), on fait une mise en commun (« t’as identifié quoi, toi, comme zone « méfiant » ? etc…).
Certes, c’est moins ambitieux que ton approche CSV plus formelle (avec support papier), mais ça permettrait au moins d’apprendre et de partager sur les modes de vigilance.
Et pour le nommage, j’aimais bien « gribouillon » ! Ca faisait « esquisse », brouillon… L’esquisse de la « réalité » qu’on imagine avant de partir.
Carto Systémique de Vigilances, je trouve cela un peu trop rigoureux (et même présomptueux). Et je ne vois pas en quoi l’approche est systémique. Peut-être une CPV, une cartographie préalable des vigilances.
En tout cas, ton approche ouvre à la réflexion ! Et je me l’approprie déjà pour la préparation des sorties (individuellement), et comme « exercice » pour pratiquer la vigilance encadrée. Bravo.
Amicalement,
Philippe
Bonjour Paulo,
Philippe ROMITA, formateur ski alpinisme du club alpin (bonjour a Catherine et Jean en passant).
Approche particulièrement intéressante.
Je compte bien l’experimenter dans ma pratique de cet hiver en particulier dans la formation d’encadrants.
Plus que le manque de temps pour l’intégrer dans les pratiques du Club Alpin c’est la culture des effectifs « conviviaux » a 20 par sortie qu’il faut bouleverser. Pour faire ensemble réellement le bon groupe c’est 6+1 maximum je partage complètement cette conviction.
Ca on a encore bien du boulot avant de le faire partager largement dans notre pratique associative.
Beau travail de réflexion et de formalisation.
Bonjour Paulo,
J’ai participé à ton 1er webinaire et effectivement j’ai trouvé l’approche très intéressante pour essayer de lier BERA, pente, vigilance et tout le « fourbi » des facteurs humains qui, en général, est un aspect qui, à mon sens, est très (trop) intellectualisé dans les formations. On comprend bien que ce « fourbi » a une place importante, mais on ne sait pas trop comment l’aborder et surtout l’appliquer très PRATIQUEMENT sur le terrain. Ton approche simplificatrice et très pratique me parle et me va bien.
Concernant la pyramide inversée des vigilances, je partage cette représentation très parlante, par contre je ne comprends pas bien la logique de pyramide inversée, pourquoi inversée ?? Sur la base de cette représentation, je te fais une autre proposition, je te l’envoie par mail car il me semble que je ne peux pas joindre d’image à ce commentaire.
Je serai présent à la soirée webinaire du 30 décembre, si on a le temps on pourra en parler.
Bien amicalement.
André SOUVIGNET
Instructeur ski-alpinisme FFCAM
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