Chevaucher le Dragon du Ben Nevis…

 

Il a suffit d’une seconde pour que tout bascule…
Je garderai gravé dans ma mémoire cette instant terrible, comme suspendu dans l’espace, où l’ensemble de la corniche de Number Four s’effondre autour de moi.
La suite fut radicale et instantanée…, une chute de 400 m dans le couloir de Number Four, entrainé dans une énorme avalanche avec des blocs de neige gigantesques de la taille d’une Fiat Panda.

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Je me souviens très bien de cet instant.
Initialement, je souhaitais prendre des photos de la cordée de Philippe et Sylvain sortant de Pinnacle Arête dans South Trident Buttress.
Mais comme je n’étais pas au bon endroit, j’avais décidé de changer de point de vue, quand des brumes, montant de la vallée ont attiré mon attention. Le spectacle était magnifique avec le Ben en arrière plan en plein soleil et le mur d’Indicator dans l’ombre.
Avant de rejoindre Neil mon compagnon de cordée qui rangeait son sac derrière moi, je voulais faire un zoom sur la petite corniche en avant-plan afin d’illustrer une page pour le site sur les conditions particulières de cette année.
Juste avant, en observant de profil Number Four, j’avais été surpris de ne pas y trouver une corniche surplombante, mais simplement un mur de neige vertical.
Les deux traces de pas devant moi sont particulièrement intéressantes. Deux personnes ont marché à cet endroit le matin même ! Et nous sommes encore à environ 3 ou 4 mètres du bord…

Puis, la corniche de Number Four s’est effondrée.
La suite fut radicale et instantanée…, une chute de 400 m dans le couloir de Number Four, entrainé dans une énorme avalanche avec des blocs de neige gigantesques.
Ce temps passé à chevaucher le Dragon a duré très peu de temps, même si cela a duré aussi une éternité. Je me souviens simplement avoir pensé que cela allait se terminer un jour, qu’il me fallait simplement fermer la bouche et respirer calmement par le nez en restant le plus détendu possible, le plus regroupé possible. J’ai senti aussi que je faisais des bonds au franchissement des ruptures de pente, que je roulais dans tous les sens avec des chocs importants un peu partout mais sans trop de douleurs.

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Puis, tout c’est arrêté. Plus un bruit, plus un mouvement.
J’étais vivant ! C’était incroyable et merveilleux !
J’ai mis du temps à oser ouvrir les yeux, puis à bouger mes membres un à un, comme si j’avais peur de découvrir une catastrophe. J’avais mal partout avec un goût de sang dans la bouche, mais à priori rien de vraiment grave.
Par contre, j’étais coincé sous un gros bloc, mais à l’air libre. Le Dragon m’avait recraché et j’étais comme suspendu à l’avant de l’avalanche à un mètre du sol. Me dégager a pris du temps, car j’avais perdu mes gants et mon sac à dos me coinçait encore sous les blocs de neige.
C’est génial, j’étais vivant et debout.

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Je regarde le paysage qui m’entoure avec énormément de bonheur. Très haut, Ritchie vient de sortir de la longueur difficile de Gargoyle Wall. Frank, son compagnon de cordée sera certainement très heureux de cette réalisation. Les Pyrénéens doivent déjà être bien haut dans Orion Face. Il y a aussi des cordées sur Tower Ridge. Elles ont certainement vu le spectacle de l’avalanche et peut-être prévenu les secours.
Il fait grand beau sur le Ben, les lumières ont une saveur incroyable.
Je reste longtemps assis à goûter cet instant.
Doucement, péniblement, je me met en marche vers la vallée, d’abord à cloche-pied en tirant mon sac derrière moi car ma cheville droite a un peu souffert. Je ressens encore plus la vulnérabilité de notre état d’Homo Verticalis. Mes pensées s’envolent vers l’épopée de Doug Scott en Himalaya ou de Joe Simpson au Pérou. De mon côté, je ne me fais pas trop de souci, les secours arriveront bientôt et au pire je peux rejoindre un groupe qui fait des exercices en contrebas ou même la CIC Hut pour téléphoner.
Puis la pente s’accentue et marcher m’est trop douloureux, je glisse plus ou moins sur les fesses pour avancer. Tout va bien, car j’entends bientôt le bruit du gros hélicoptère de la Royal Air Force, typique des secours en Ecosse.

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Petit retour en arrière…
La journée promettait d’être exceptionnelle sur le Ben, avec du beau temps, peu de vent et un bon regel nocturne.
Notre groupe c’est séparé en différents lieux.
Chris est avec Sonia et Stuart dans le secteur de Rubicon.
Ritchie est encordé avec Frank pour essayer une voie de mixte vers Gargoyle Wall.
De mon côté, j’accompagne la cordée de Philippe qui voulait poser lui-même ses relais. Je lui ai proposé une voie abordable mais peu parcourue, Pinnacle Arête. Je grimpe avec Neil.

Dans la combe de Coire Na Ciste, nous progressons avec Ritchie qui nous décrypte les conditions et les manières de composer avec le Ben: «Be flexible… and opportunist». Tout se déroule le mieux possible pour nous. Je laisse toute l’autonomie souhaitée à Philippe et Sylvain et j’ai tout le temps nécessaire pour m’occuper le mieux possible de Neil, qui a encore peu d’expérience au Ben.
A la sortie de l’arête, Philippe est juste derrière nous au dernier relais, nous sommes en début d’après-midi.
Pour la suite, j’ai proposé à Neil de traverser complètement la montagne pour profiter du beau temps, s’imprégner des lieux et récupérer au passage les cordées de Ritchie et Chris pour descendre tous ensemble par CMD.
Nous plions les cordes et rangeons nos affaires dans nos sac et je m’approche du plateau au sommet de Number Four pour quelques photos…
En se retournant, Neil ne voit plus personne et imagine que je suis déjà parti vers le sommet.
Il n’a rien vu, ni entendu, de l’effondrement de la corniche !

Une histoire incroyable, et quel malin ce Dragon.
Mais pas de souci, en mars 2015, je retournerai en Ecosse et au Ben Nevis, l’aventure y est trop belle !

Voici aussi la page du compte rendu des séjours Ben Nevis 2014 et celle du Dragon de Number Four.

Paulo_Dragonnier malgré lui !

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2 réflexions sur “Chevaucher le Dragon du Ben Nevis…”

  1. Hello Paulo,

    Content, content, content !
    De te garder avec nous, avec à l’arrivée toutes les pièces montées dans même ordre qu’au départ ! Ouf !

    La (encore plus ?) belle photo, comme l’attraction du sommet nous mènent parfois au pas de trop. Et si les conditions sont en plus trompeuse, comme cela était le cas si j’ai bien compris, c’est encore plus traitre.

    Bon, c’est une expérience (définition de « Expérience »: l’ensemble des c…….. qui ont oublié de mal tourner, selon un ami).

    Pour en revenir à l’essentiel: content, content, content !
    De te garder avec nous, avec à l’arrivée toutes les pièces montées dans même ordre qu’au départ ! Ouf !

    Bonnes montagnes ! Et bon retour au Ben !

    Olivier

  2. Coucou Paulo
    Heureuse de voir que tu t’en es bien sorti;il s’en est fallu de peu;en lisant tes mots cela me replonge dans mon « expérience personnelle » ( tu sais laquelle ) et ça me provoque une telle émotin que je me dis que je n’ai pas encore tout évacué.
    J’espère qu’on pourra en parler ensemble et échanger nos ressentis respectifs lorsqu’on se reverra………très certainement en cascade de glace cet hiver car j’attends avec impatience ton planning !
    Bises et à très bientôt je l’espère.

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