Bonjour à tous et bienvenues sur ce deuxième Podcast de Paulo Grobel dédié à l’altitude & à l’acclimatation.
Je voudrais conjuguer deux types de compétences pour aborder ce sujet. À la fois mon expérience en Himalaya et celle sur les skis issue des formations Neige & Avalanche de l’ANENA (l’Association Nationale pour l’Étude de la Neige et des Avalanches), que j’encadre durant l’hiver.
Ce podcast est aussi le contenu de la web conf organisée par l’agence de Lyon Expédition Unlimited, pour préparer la prochaine expédition à l’Himung cet automne 2020 et le Manaslu à l’automne 2021.
J’espère ne pas trop vous bousculer par ce mélange des genres et une présentation un peu formelle.
Et j’aimerais commencer ce sujet sur l’acclimatation par une petite histoire d’altitude, issus du précédent épisode, mais qui illustre bien que nous en sommes encore à la préhistoire en terme de contenu, de discours mais surtout de pratique raisonnée en altitude.
Altitude et Acclimatation, le podcast…
Nous voici en route pour le Manaslu au printemps 2009.
À Bimtang à 3590 m, lorsque je fais un tour de table sur notre état physique avec l’ensemble des participants, 8 personnes sur 10 sont en souffrance :
- certains ont des problèmes gastriques,
- d’autres ont vraiment mal à la tête,
- l’un est tombé d’un banc et c’est froissé les côtes,
- et un dernier n’a pas pris ces médicaments avec lui alors qu’il souffre des cervicales après une chute à moto avant le départ.
Ce qui signifie que 80% des alpinistes de mon groupe qui pourtant visent un 8000 sont HS après seulement une semaine de trek.
C’est tout simplement incroyable.
Une conclusion immédiate, l’acclimatation ne se construit pas à partir du camp de base mais bien avant. Dès le départ de Kathmandu et même en France et surtout durant tout le trek, très progressivement et de manière structuré.
Ça semble tellement évident !
Mais que faire concrètement pour construire une bonne acclimatation, pour arriver au dernier camp avant l’ascension ou au sommet du col en pleine forme, pleinement disponible et heureux de notre réussite (plutôt qu’à l’arrache avec un mal de tête infernal.)
Alors, osons une première question… C’est quoi au juste un trek en altitude ou une expé ?
Et bien c’est la même chose !
« Same same…, but different ! » comme disent nos amis népalais.
C’est comme faire les fondations d’une maison, avec 5 étages pour passer le Larkye Pass ou une autre avec 8 étages pour le Manaslu. Faire de bonnes fondations est indispensables !
C’est le projet d’un groupe, qui se déplace dans un milieu hypoxique qui EST par nature dangereux.
C’est donc une organisation sociale qui prend des décisions, avec des facteurs humains non négligeables et des interactions multiples (groupe/leader, entre les participants…). La taille du groupe joue bien sûr un rôle dans ces interactions, ainsi que la posture du leader. Il faudra parler aussi de la manière d’envisager ce projet. Pour moi, il est participatif et co-construit, c’est la notion de « Faire Ensemble ».
Je pense qu’il est indispensable de faire un lien avec la réflexion actuelle sur les prises de décisions en matière d’avalanche.
Pour l’instant, cette dynamique se construit doucement et il est bien difficile de la partager ou de l’enrichir, faute de contributeurs. C’est certainement l’une des première fois…, et je vous remercie d’avance de votre indulgence.
En m’inspirant de la nivologie pratique pour l’acclimatation j’ai systématiquement intégré durant le trek ou la marche d’approche, des temps formels :
- de briefing & de débriefing,
- des Checklistes
- et maintenant les Retex.
Il s’agit de structurer nos interventions de leader en fonction de notre déplacement qui progressivement va nous confronter à l’altitude, avec des briefings réguliers :
- pour augmenter les compétences, la connaissance des participants,
- pour favoriser de bonnes pratiques et construire une expérience non traumatisante,
- mais surtout une conscience de cette réalité.
Concrètement, pour que le groupe prenne les bonnes décisions pour éviter un oedème mais aussi (et c’est une valeur ajoutée inestimable) prenne plus de plaisir à être en altitude et à évoluer en groupe.
Mais c’est quoi ces Briefings, que j’appelle dans mon jargon «les petits messages on the road » ?
Ce sont de courtes interventions formelles (15 mn) à un moment dédié où tout le monde est attentif, et le contenu en est essentiellement pratique.
Plusieurs lieux bien identifiés structurent ces rendez-vous, concrètement ce sont les étages caractéristiques au cours de ce long voyage vers le sommet, ou du trek.
- Avant le voyage
- À Kathmandu.
- Le premier jour de marche.
- À l’arrivée vers l’altitude 3000 m, où l’environnent hypoxique commence à faire sentir.
- Au camp de base.
- Pour préparer la première nuit au Camp 1.
- Pour gérer les efforts de portage et le rythme de progression.
- Avant le col ou le sommet.
À chaque briefing est associé un thème spécifique, un mode d’échange interactif peut d’ailleurs être mis en place, car il n’y a généralement rien de révolutionnaire dans ce propos. Juste du bon sens.
Les trois premiers se situent avant le voyage, et ils ont été abordé durant la réunion préparatoire, avec l’ensemble du groupe.
- 1…, Augmenter ses connaissances théoriques sur l’hypoxie (formation Iffrement, livres, vidéos, échanges…).
- 2…, Consolider son capital santé, s’entrainer.
- 3…, Et aussi ! Faire une pose juste avant le départ pour arriver le plus détendu/reposé possible.
Puis à partir de Kathmandu, ces messages expriment l’attention à développer pour tous les détails de la vie quotidienne pouvant améliorer (ou rendre plus difficile) notre acclimatation.
Le contenu de ces briefings :
4… Nous voici sur la terrasse de Padma, j’y suis un peu chez moi, mais le cadre est surtout fantastique. avec le grand stupa de Boudhanat juste en face de nous. Ça change de Thamel !
« Nous sommes plus que des touristes à Kathmandu ». Un message sur la qualité du voyage, pour préserver notre santé.
Mais concrètement ça veut dire quoi… ?
« Que nous ne sommes pas que des touristes (sans jugement de valeur bien sûr car nous sommes des touristes) mais nous sommes beaucoup plus que cela car nous sommes des touristes à pied et en partance pour un sommet ou un trek en altitude.
Il s’agit donc de préserver notre capital santé de base, simplement par une attention de tous les instants à tous les petits détails de la vie quotidienne. Et en premier lieu ne rien faire, pour adsorber les fatigues du voyage.
Pas la peine de courir aux quatre coins de la ville, Durbar, Pashu, Boudhanath et un petit coup de Swayanbu pour être certain d’être explosé à la fin de la journée. Mais au moins, nous aurons rempli le programme de l’agence (car il est difficile de vendre du rien) et surtout nous aurons FAIT.
C’est un joke, personne ne fait ça bien sûr !
Pour moi, ce temps à Kathmandu est plutôt un sas de décompression où il est urgent de ne rien faire, juste mieux préparer ses affaires et flâner un peu à proximité immédiate, tout tranquillement.
Au vu des conditions sanitaires (la qualité de l’air, de l’eau), il est peut être judicieux de limiter le plus possible la durée de ce séjour à Kathmandu et de prévoir de faire du tourisme au retour. Nous serons alors beaucoup plus disponible et acclimater à la vie népalaise.
Bien sûr, il s’agit de ne surtout pas boire ou manger n’importe quoi, de ne pas faire d’expériences locales (c’est tellement fun de manger dans la rue ou dans une gargote !).
Bref de faire attention à soi. En pleine conscience…
Durant le transport pour Besisahar, Bishal le sirdar a comme mission de prévoir des arrêts « pour touristes » (et donc forcément plus chers) où l’hygiène est la mieux prise en compte. Il ne s’agit pas de récupérer d’emblée un problème gastrique qui va nous invalider pour le reste du voyage.
Durant ce long transport routier jusqu’au départ de la marche d’approche…, je vous propose de rentrer dans sa bulle, de se préserver, d’essayer de profiter de l’instant, même si ce n’est pas vraiment agréable.
Le plus difficile est d’arriver à vivre ce trajet éprouvant en mode zen « Accueillir tout ce qui arrive avec bienveillance ». Une bien belle phrase, mais parfois bien difficile à vivre tellement c’est la galère.
5.., Notre départ a été très matinal (à 5h du mat !), pour sortir de Kathmandu avant les premiers bouchons.
Nous allons petit déjeuner sur la route et un dal bath nous attend à midi à Besisahar. Le temps de charger les jeep et d’enchainer sur Dharapani. Heureusement la route est de plus en carrossable. Au lodge chez Lakpa, un petit « message on the road » s’impose, pour préparer notre première journée de marche…
« Nous sommes plus que des randonneurs dans les Alpes ».
Un message sur la qualité journalière de nos randonnées, avec cette difficulté de la durée.
6… Trois jours plus tard… Tout c’est bien passé, nous sommes maintenant à Bimtang, à plus de 3500 m, il nous faut nous préparer pour le passage du col. Le check de l’état d santé d chacun est indispensable pour décider de la suite des étape. Le sujet du briefing est directement lié à l’environnement hypnotique qui va maintenant devenir notre quotidien.
« Nous sommes plus que de simple trekkeurs ». C’est un message sur la qualité de la marche (une approche de la marche consciente), dont l’enjeu est de s’économiser.
Il est question ici de respiration, de protection des voies respiratoires, de qualité de posé de pied, de rythme, de Hara…
Première nuit en altitude, et en bivouac à Larkye Phédi (pour couper la traversée du col en deux)
7… Nos nuits sont le lieu de l’acclimatation.
C’est un message sur la qualité de nos nuits. Il y a tellement à dire sur ce sujet…
Au village de Samdo ou à Samagaon, nous avons un peu de temps, pour aborder d’autres notions
8… Diamox et médicalisation, l’utilisation d’un caisson. Un message aussi sur les risques de l’auto médication et de l’importance de la transparence.
9… Le rôle du cerveau dans un environnement hypoxique… La psychologie positive, la communication non violente et la méditation.
Et voici le dernier message, presque le plus important :
10… Nous sommes responsable de nos mal-êtres en altitude.
Et pour illustrer ce message, voici l’histoire de l’épée de Damocles et des fils à ne pas couper. Elle conclut cette première semaine en altitude, la plus difficile pour le corps.
Je vais donc vous raconter cette histoire qui va servir de référence commune au groupe pour la suite du voyage. À la fois pour construire une attention personnelle, mais aussi collective… Chacun fait attention à l’autre, car si l’autre à un problème, les répercutions de sa prise en charge impactent l’ensemble du groupe.
L’épée de Damocles et les fils à ne pas couper
Tout le monde visualise facilement une épée de Damocles, c’est une vraie épée suspendue au-dessus de notre tête. Elle représente un oeudème cérébrale ou pulmonaire et nous pouvons donc clairement en mourir si elle se décroche.
Il faut se représenter cette épée maintenue en haut par une multitude de fils. Au début du voyage, il n’y a aucun risque car nous avons beaucoup de fils, mais au fur et à mesure que nous faisons un acte contraignant pour notre corps, nous coupons un fil. Pas de souci, tant que nous en avons suffisamment, mais nous ne savons pas combien nous en avons initialement, ni combien il nous en reste. Et tant qu’il y en a au moins un, rien ne se passe. Mais si nous coupons le dernier, la conséquence est immédiate.
Alors que faire…?
Simplement éviter le plus possible, à chaque instant, de couper un fil.
Il est si facile de les couper : aller un peu trop vite, vivre une étape trop longue, être mal équipé dans le mauvais temps, porter un sac trop lourd, mal s’hydrater, s’énerver après quelqu’un, se pencher rapidement en plantant la tente, s’angoisser au sujet de l’altitude… etc etc.
Heureusement, nous avons cette capacité magique de renforcer ou de reconstituer des fils supplémentaires si tout se passe bien et si nous faisons vraiment attention.
Et c’est pourquoi il faut s’économiser un maximum, ne surtout pas couper de fil.
Pour des alpinistes ou des randonneurs « normaux », l’altitude n’est pas le lieu de l’entrainement, ni celui de la compétition; c’est le lieu d’une conscience encore plus affutée à tous nos actes.
Cette image de l’épée de Damocles vous parle-elle ?
Pour les Népalais, j’ai même une autre histoire « The Story of Old Buffalo » qui les fait mourir de rire et devenir écarlates.
Altitude et Acclimatation… Au camp de base !
À partir du camp de base, nous quittons notre panoplie de randonneur pour nous transformer en alpiniste, une autre histoire commence.
Avec une attention encore plus précise sur la gestion du portage et des déplacements. Pour cela, il nous faut calibrer nos efforts, en sachant que nous ne sommes pas tous égaux en altitude.
On pourrait aussi aborder d’autres notions, comme le « By fair means », bien sûr sans Ox, et avec le moins possible de corde fixe, mais surtout en nous impliquant tous dans cette ascension, avec l’équipe népalaise.
Et aussi il faudrait mieux expliquer les enjeux de la progression continue, et de la Slow Attitude.
Si vous voulez, j’expliquerais plus tard ces concepts, qui sont tellement importants pour la qualité de nos histoires en altitude.
… Continuons notre ascension. Et on pourrait aussi aborder le sujet de ta nourriture en altitude !
Bien sûr, il y a d’autres messages à faire passer.
Et surtout des checklistes précises à mettre en place :
- « Comment ça va ce matin ? », ça c’est à chaque petit déjeuner ensemble
- « La tournée des popotes », le soir quand chaque binôme est dans sa tente.
- « Le grand départ », avant le sommet.
- « Pour préparer la descente », depuis le sommet.
Un mot rapide sur les débriefings, si difficile à faire.
Les débriefing sont la clefs de la progression, à chaque palier pour préparer la suite. Ils sont simples et courts, pour valoriser ce qui fonctionne et le consolider ou, quand quelque chose coince, pour y apporter une solution. Il s’agit vraiment de trouver un équilibre entre rien et trop, pour les rendre le plus légers possible.
Et les Retex (pour retour d’expérience) sont un outil très puissant pour approfondir l’analyse d’un presque accident (ou d’un accident), pour construire des mesures correctives pouvant être utilisées à court ou à moyen terme, pour consolider l’expérience de chacun et construire une formation ultérieure. C’est vraiment un outil indispensable à construire ensemble et surtout à partager.
Mais attention à la claque en retour pour le leader, souvent en première ligne… Humilité et lâcher prise indispensable.
Je vous invite à lire celui du Lugula de cet automne 2019, sur mon site.
Bien sûr, il faudrait compléter, détailler beaucoup plus cette réflexion sur l’altitude, pour le rendre plus compréhensible, mais l’enjeu pour le leader est de partager cette réflexion et cette pratique avec chaque participant d’un trek ou d’une expé, car chacun est acteur de ce processus, c’est ce que j’appelle le « Faire Ensemble en expédition ». C’est une manière de rendre nos prises de décision plus fiables, mais également de prendre plus de plaisir en altitude en augmentant le niveau de connaissance, d’implication et de conscience de chacun.
Pour le leader du groupe, qu’il soit professionnel (guide, accompagnateur), ou amateur…, c’est un très beau challenge !
Paulo_toujours confiné le dernier jour d’Avril.
J’espère que ce nouveau podcast vous aura aidé à mieux construire votre prochaine aventure en altitude.
Que les dieux vous accompagnent, tout là haut !
Et si vous avez des questions, n’hésitez surtout pas à laisser un commentaire, par mail et au téléphone au 06 42 90 75 34.