Il va falloir des efforts pour oser laisser la boussole et l’altimètre au placard ! Pour assumer le changement numérique de notre environnement cartographique…
Mais les Chef de Bord sur leurs voiliers utilisent-il encore le sextant pour naviguer ? Peut-être apprennent-ils encore à s’en servir, pour le fun, mais certainement pas pour naviguer.
Il est temps de changer de cap !
Et cet article est la suite d’une réflexion sur l’enseignement de la cartographie avec la CSV.
Dans cet article, la ligne droite représente les azimuts avec l’utilisation de la boussole et Iphigénie exprime l’évolution des outils numériques avec la multitude d’applications de cartographie disponibles.
Un simple rappel… S’orienter signifie déterminer sa position sur la carte et sur le terrain, alors que naviguer est un déplacement avec ou sans visibilité. La révolution majeure de ces dernières années en cartographie est certainement la généralisation des applications de cartographie et son utilisation par tous les pratiquants.
Mais une autre révolution avait déjà eu lieu, il y a quelques années avec l’enseignement de la tangente à la courbe de niveau. Je me souviens encore d’une discussion édifiante dans les années 90 avec Claude Rey, l’un des instigateurs de cette technique.
Lors d’un stage de formation carto, j’avais exprimé ma difficulté à progresser sans point de repère puis de trouver un lieu propice où faire cette tangente à la courbe et je me demandais comment faire mieux.
Claude m’avait alors expliqué que le plus difficile était de se défaire de l’habitude d’évoluer dans le brouillard en suivant une ligne droite, un azimut. Que c’était une aberration en montagne avec la multitude des obstacles engendrés par le micro-relief invisible sur la carte. Et qu’il fallait donc apprendre à évoluer naturellement, simplement avancer en suivant le mieux possible l’itinéraire optimal par beau temps. Puis de temps en temps, utiliser la tangente à la courbe pour se positionner plus précisément. Et continuer ainsi sa route…
Ce n’était donc pas une question de technique mais avant tout un changement de manière de penser et de progresser. Oser remettre en question cette obligation d’utiliser systématiquement la boussole et les azimuts.
Trente ans plus tard, force est de constater que la boussole et les azimuts font encore partie du corpus de connaissances enseigné et sont largement répandus dans l’imaginaire des montagnards. La règle est encore pour beaucoup dans le brouillard « On se déplace à la boussole en tirant des azimuts ! ».
La généralisation des applications de cartographie va-t-elle bousculer cette certitude ?
Ou plutôt, en quoi un positionnement GPS disponible par tous très facilement, modifie-t-il radicalement les stratégies de navigation sans visibilité ?
Tout simplement parce qu’à tout moment il est possible maintenant de savoir exactement où l’on est, et donc il n’y a plus besoin de faire une tangente à la courbe (et encore moins de suivre un azimut). Il suffit d’avancer le plus naturellement possible même dans le brouillard le plus épais. Savoir où l’on se trouve est devenu d’une simplicité incroyable. Claude Rey serait certainement comblé par cette évolution technologique.

Mais comment accompagner cette évolution des outils ?
• Peut-être en apprenant, par beau temps, à se déplacer avec des Waypoint (les épingles d’Iphigénie) bien positionnés sur l’itinéraire envisagé.
• En augmentant les compétences de lecture fine de la carte, en utilisant systématiquement une application carto, comme outil de base.
• Et en utilisant la CSV et le gribouillon pour installer la carto précise et la « progression en continu » avec des waypoints dans une routine, à la fois dans la préparation et le briefing.
Concrètement, lors de la préparation et tout en dessinant un gribouillon, tous les participants posent des waypoints sur l’itinéraire choisie dans leurs applications en étant le plus précis possible et en les validant tous ensemble.
Sur le terrain, le groupe évolue naturellement en suivant l’itinéraire préparé et plusieurs personnes enregistrent le trajet réalisé. Lors du débriefing, il sera très facile de vérifier si la trace enregistrée passe réellement sur les points définis. Si ce n’est pas le cas, il sera intéressant de comprendre pourquoi et ainsi progresser dans la lecture fine de la carte.
Et qu’en est-il des objections classiques envers ces outils numériques ?
La plus récurrente : la dépendance a un outil qui peut tomber en panne est réfuté immédiatement puisque avec la démarche CSV, tous les membres du groupe ont une application sur leur téléphone. Impossible que tous tombent en panne en même temps.
Ou encore : « dans le grand mauvais temps, je n’arrive pas à lire l’écran de mon téléphone, soit à cause de la neige, soit à cause du froid et de la nécessité d’enlever les gants ». La question n’est peut-être pas bonne, mais plutôt, est-il pertinent de sortir par un tel mauvais temps, n’est-on pas déjà en situation de Danger ? Une telle situation de survie est extrêmement rare, surtout si la préparation de la sortie a été réalisée correctement.

CHANGER DE CAP ?
Bien évidemment, il n’est pas simple d’expérimenter de « nouvelles » techniques de navigation et il sera difficile pour certains d’abandonner la boussole, qui a été longtemps un marqueur de compétences.
Mais le jeu est vraiment intéressant et commence par la formation des pratiquants et une certaine appétence à expérimenter une navigation naturelle sans visibilité.
Ne serait-il pas pertinent, dès les premières sorties, de former nos compagnons à une navigation continue avec les waypoints qui vont bien, par beau temps et d’intégrer l’utilisation d’une application carto ?
Êtes-vous prêt à laisser la boussole à la maison ? Et de commenter cet article…
Paulo Grobel
Début Mai 2025, en rangeant les skis… C’est bientôt l’été.
Paulo
Cet article est top. Tu es toujours dans la démarche : LE FAIRE ENSEMBLE
Beaucoup de socioprofessionnelles devraient prendre exemple sur to approche de L’ALPINISME sous toutes ses formes : l’alpinisme aurait alors plus de pratiquants
Bel article comme toujours
Je me risque juste à 2 compléments :
– la révolution n’est pas tant au niveau des applis (qui finalement font un peu toutes la même chose avec plus ou moins de facilités) mais plutôt du catalogue de cartes disponibles : cartes institutionnelles comme IGN ou Swissmap, commerciales comme Fraternali en Italie et surtout tous ces « rendus » à base d’Openstreetmap avec tous les calques plus utiles les uns que les autres comme les pentes, les itinéraires de rando, les cartes de chaleur Strava ou autres, etc…Et la 3D quel progrès !
– quand le mauvais temps s’installe j’ai toujours un « vrai » GPS dans le sac utilisable par tous les temps avec les gants
Merci Paulo pour ce bel article.
Effectivement certains cursus incluent toujours des notions d’un autre temps, et surtout n’offrent pas assez d’espace aux outils de carto embarqués. A nous formateurs de faire évoluer ces cursus. L’inclusion carto et preparation CSV combinés avec l’exigence d’une appli carto dans la poche de chaque participant est très pertinente. La carte papier, elle, reste bien utile, pour préparer à la maison avec un « horizon large » (vs écran smartphone..), pour apprendre la lecture fine et la lecture du relief, pour échanger en groupe. Sur le terrain la carto embarquée et les épingles de jalonnage fin sont juste géniales. Oui l’utilisation systématique de ces outils et cette possibilite de choix de nombreux fonds de cartes numériques c’est un changement de paradigme qu’il faut accompagner.
Un message de PhilippeC
« Je suis bien d’accord avec toi !
Pour moi, boussole et alti restent au placard depuis des années !!
L’utilisation des applis GNSS développe la lecture de carte parce que les aller-retours entre carte et terrain sont plus faciles et fréquents.
Dans un groupe, la redondance (plusieurs personnes ont une appli) lève le risque d’indisponibilité. Le fantasme de la panne (batterie, écran…) n’a plus aucune raison d’être !
Pour moi, c’est AlpineQuest et plus Iphigénie (mais chacun son choix et l’essentiel est de savoir se servir de son appli). Côté appli, il faut que ça fonctionne bien Les bugs qui apparaissent lors des changements de versions sont inacceptables…
Et j’ai du mal à comprendre que le noyau des formations carto (autour des boussoles + carte papier + azimut + alti…) perdure autant, en particulier dans les Clubs.
C’est comme si on obligeait à apprendre la recherche DVA avec un Ortovox F1 alors que les DVAs 3 antennes modernes ont largement démontré leur efficacité.
Mais je comprends aussi certaines personnes. L’aisance avec les outils numériques et la confiance dans les outils reste très variable. Ce qui me semble le meilleur choix aujourd’hui n’est pas forcément le même pour tous.
Et chacun n’a pas non plus la même aisance à changer ses manières de faire et à expérimenter d’autres trucs. »
Un échange avec Yannick
1… « Comment amener les apprenants à se détachés de leur smartphone pour suivre un itinéraire. Je trouve que de nombreux stagiaires ont maintenant du mal à se défaire de leur smartphone et suivent aveuglément une trace bleue ou une trace Gpx qu’ils ont rentrées.
C’est un détail, mais assez typique de cette difficulté de s’extraire et prendre du recul par rapport à une information, quelle nous soit donnée par une boussole ou une trace sur un smartphone. Aussi, je pense que nous devons nous poser la question sur la manière dont nous construisons l’apprentissage de la carto. Et il ne s’agit pas de remplacer un outil par un autre se heurtant à la même difficulté pédagogique. »
PG… Effectivement, et c’est un argument récurent contre les smartphone. Il me semble que l’objectif de mémorisation, à la fois des formes du relief de la carte et celles du terrain, est important. Il serait interessant d’expérimenter un enseignement, des situations pratiques développant cette compétence. J’ai l’impression que nous avons peu exploré cette direction. (Un exemple d’exercice. « La dictée de la carto « : raconter à haute voix la topographie de l’itinéraire envisagé.
Yannick… J’aime bien ce concept de « gribouillon bien fait ». Il est en effet à la base d’une approche pédagogique efficace si on en maitrise la définition. En y réfléchissant, je retrouve dans une certaine mesure, certaines similarités avec l’élaboration d’un « bon croquis » d’un topo d’escalade (en terrain d’aventure) sur lequel on ne va figurer que les éléments essentiels pour que les répétiteurs puissent facilement repérer l’itinéraire (je n’ai pas eu souvent à en faire, n’étant qu’un ouvreur anecdotique, mais suffisamment pour relever la difficulté de l’exercice).
Et ta notion de « dictée de la carto » est en effet un point à développer.
On confirme ici qu’il y a donc une matière pédagogique riche autour de la construction du gribouillon.
2… « Le gribouillon ‘ »carte rudimentaire » est dans cet esprit très pertinent. Car si on ne mémorise pas facilement une carte, on peut mémoriser un gribouillon s’il a bien été construit. Car il force à une synthèse et l’intégration d’un ensemble d’éléments cartographiques qui permettent de subdiviser les sections. Et c’est durant cette étape de construction, qu’on devrait pouvoir mettre en place les éléments qui feront que l’apprenant s’affranchira de son smartphone. En d’autres termes, un gribouillon bien fait ; on ne sort le smartphone que pour confirmer un point sur lequel on a un doute…. »
PG… Oui, tout à fait. Et on pourrait réfléchir à ce qu’est un gribouillon « bien fait ». Le moment où l’on pose à la fois des points sur le croquis et des WP sur nos applications devrait permettre cette étude approfondie de la carte avec, forcément, une forme de mémorisation.
3… « Enfin, je me demande s’il n’est pas judicieux de distinguer deux phases : l’apprentissage et la pratique. »
PG… Damned, c’est un autre sujet, à discuter car d’un autre côté, j’aimerais que l’apprentissage soit le plus ancré possible dans la réalité de l’action
A suivre donc…
Yannick… Pour ce qui est du débat sur les phases de l’apprentissage: je me dis que nous sommes un peu biaisés dans notre réflexion car nous avons eu un parcours d’apprentissage de la carto qui est passé par l’assimilation de tout un ensemble de concepts dont il n’est pas facile de faire abstraction pour nous mettre dans la situation d’un débutant qui débarque directement sur un smartphone qui le localise précisément (et dont il aura du mal à se détacher car il l’affranchit d’un ensemble de raisonnement). Il faut donc parvenir à établir les besoins d’un débutant pour le rendre efficace. Comme dans toute démarche pédagogique !!.