Manaslu 2015 !


 

Entre Tremblements de terre et chutes de Seracs,
une expédition particulièrement mouvementée.

Samedi 25 avril.
Il neige doucement ce matin au camp de base du Manaslu. Une ambiance blanche et feutrée, tout de douceur. Et je suis très content. Les prévisions de notre ange gardien était juste et nous ont permit de caler au mieux notre journée de repos au camp de base.
La veille, par un temps radieux nous avons installé notre premier camp, Minus One, au bon endroit et à mi chemin du camp 1.

Vers midi, nous sommes tous attablés dans la tente mess, pour préparer la suite de notre voyage. Soudain, interloqués, nous sentons la terre bouger sous nos pieds.
Un tremblement de terre !!!
Nous sortons de la tente et la terre bouge toujours.
Puis, quand enfin tout s’arrête, un autre grondement s’amplifie.
Une avalanche !!!
Le souffle très puissant nous touche quelques secondes plus tard et nous nous précipitons sous la tente en nous arcboutant contre les arceaux.
Enfin, tout se calme. Dans un brouillard blanc, la première vision du camp est catastrophique. La deuxième tente mess, où se trouvait toute l’équipe népalaise est à moitié par terre, ma tente est un peu aplatie et une autre a purement disparue avec tout son contenu. C’est celle de Christian et Frank.
Je regarde Christian, il est livide, son rêve d’Himalaya a été pulvérisé en une seconde.

Vite, plonger dans la pente de la combe en bordure du glacier et essayer de tout récupérer. Toutes les affaires sont éparpillées sur plus de 300 m et la tente est en vrac.
Contre toute attente, rien ne manque et rien n’est cassé.

Le repas de midi est prêt. Bahadur nous a même fait des frites…!

Plus tard, nous sommes inquiet pour Alexia et ces amis, et pour Kilian et Peter les deux valaisans. Daniel, se met en route pour un sprint rapide à ski pour se porter à leur rencontre.
Tout le monde rentre sain et sauf, mais avec une grosse frayeur. Ils se sont fait bousculé par l’aérosols de deux grosses avalanches qui ont dévalé de chaque côtés de l’éperon du camp 1. Heureusement, ils étaient tous au bon endroit.
Nous passons un bon moment d’apero tous ensemble dans la tente mess à échanger sur ce qui vient de se passer et sur nos émotions. Kilian est particulièrement choqué, car il a déjà vécu un gros traumatisme en avalanche dans les Alpes.

Puis les nouvelles arrivent grâce aux téléphones satellite.
Le séisme a été particulièrement violent, 7.8 de magnitude, avec un épicentre pas très loin de nous. Il y a beaucoup de victimes et énormément de dégâts entre Pokhara et Kathmandu.
Sur notre montagne, nous étions au bon endroit.
Mais quelle frousse, une peur panique au plus profond des tripes. C’est monstrueux à vivre.
Et j’imagine la terreur quand cela ce passe dans une maison, un immeuble ou une ruelle et que tout peut vous tomber sur la tête.

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Bien plus tard…

Dimanche 10 Mai.
Daniel descend d’un bon pas le sentier vers Bhimthang. Avec Frank, nous allons à sa rencontre, impatient de le féliciter et d’avoir des nouvelles.
Il arrive directement depuis Sama en ayant traversé le Larkye dans la journée.
La veille, il était au camp de base et un jour et demi plus tôt, au sommet du Manaslu à plus de 8000, avec Pavel Hem, un alpiniste Tchèque.
Au-dessus de nous, le versant Ouest du Manaslu s’élève d’un seul jet. On aperçoit la petite pointe du sommet et l’emplacement du camp 4.
La distance est gigantesque et nous mesurons sans peine la réalité de cet effort colosal.

Mais c’est surtout la manière de faire qui est exceptionnelle.

En technique alpine, à deux, sans aucune autre équipe sur un 8000 et bien sûr sans ox.
Au delà de l’exploit, c’est une réalisation exemplaire, unique, qui fait vraiment plaisir dans ce monde controversé de la haute altitude.

Juste avant de passer chez le barbier...
Juste avant de passer chez le barbier…

Ancien compétiteur de ski alpinisme, Daniel De Gabaï, n’est pas un inconnu dans le milieu des athlètes de haut niveau. En Himalaya, nous avons été ensemble au Dhaulagiri, puis au Shishapangma en ski et en progression douce, sans porteur d’altitude ni corde fixe.
Pour Pavel et Daniel, c’est un beau succès, d’autant plus précieux en ce printemps particulièrement dramatique au Népal.


 Ce Manaslu 2015 a été particulièrement mouvementé, c’est le cas de le dire !

Et voici une première mouture du film réalisé par Jérôme Plantamura…
Initialement, nous avions déliré en lui donnant comme titre « Nous avons campé sur le Manaslu », en réaction au Film de François !
Mais la montagne en a décidé autrement.

La traversée de "la roulette russe"... Cette année avec beaucoup trop de balles dans le barillet !
La traversée de « la roulette russe »… Cette année avec beaucoup trop de balles dans le barillet !

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Mais reprenons le fil de l’histoire depuis le début Une belle histoire écrite à 6 mains, avec les récits de Frank et de Daniel.

UNE ACCLIMATATION OPTIMALE, par Frank

« Pour la marche d’approche et notre acclimatation, nous avons fait le choix de prendre le tour du Manaslu en sens inverse. Il s’agissait d’écourter le temps à basse altitude, de se prémunir contre toute maladie tropicale (insectes, eau, alimentation) et de prendre une altitude supérieure à 3000 m très vite pour « activer » notre acclimatation.
Avant de passer le col du Larkya (5200m) et après une nuit dans un lodge à Bimtang (3850) on posera même un camp intermédiaire vers 4100 m pour y passer la nuit et faire les choses tout en douceur … en slow attitude diront certains.

Par la suite, et alors que les autres équipes sont bloquées à Sama (3500 m) pour cause de neige sur le chemin du camp de base, nous patienterons une journée supplémentaire à Samdo (3860m) à la fois pour des raisons logistiques afin que la situation se débloque mais aussi pour parfaire notre acclimatation.
Une fois à Sama, nous partirons dès le lendemain pour le Camp de base (CB à 4800m).

Au bilan

  • un premier col de 5200 m passé sans aucun souci pour tous les membres de l’équipe
  • une montée et installation au camp de base dans d’excellentes conditions physiques
  • On se permettra même dès le lendemain en raison d’une bonne météo de partir faire un portage au camp « 0,5 »…,  nous évitant « par pure hasard » d’être exposé sur la montagne au moment du tremblement de terre. »

Contre toute attente nous avons décidé de continuer notre ascension.

Nous avons beaucoup échangé entre nous.
Pesé le pour et le contre…
Demandé l’avis de nos compagnons népalais pour savoir si leur famille avaient besoin d’eux.
Imaginé les incompréhension et la désapprobation de nos proches, les commentaires du microcosme.

Nous avons décidé de continuer notre ascension et l’équipe d’Alexia aussi.

De manière surprenante, nous nous sentons en sécurité ici, au coeur des montagnes. c’est un lieu que nous connaissons et pour l’instant rien ne nous menace directement, pas d’avalanche ni de sérac avant le camp 1. Pour moi, la neige, beaucoup plus importante cette année, n’est pas problématique. C’est juste un peu plus exigeant pour faire la trace, surtout que nous ne sommes pas très nombreux.
Nous sommes surtout très inquiet de ce que nous risquons de trouver plus bas, puisque l’épicentre est très proche de nous.

Pouvons- nous être utile, où et comment ?
Sincèrement, j’en doute et j’ai le sentiment que nous serons surtout en trop. Nous n’avons aucune compétence spécifique dans le cas d’un séisme. Que pouvons nous faire ?

Nous sommes aussi très loin de Kathmandu et décider de rentrer en urgence nécessiterait la mise en oeuvre de beaucoup de moyens forcément démesurés, uniquement pour le confort de nos petites personnes. Attendre que la situation soit plus simple pour nous permettre de rentrer sans trop de danger nous semble donc une bonne option.

Nous allons donc laisser passé au moins 48 h avant de nous approcher de la chute de sérac au-dessus du camp 1. Il nous faut également de la visibilité pour mieux nous rendre compte de l’ampleur de la situation.
Et, bonne nouvelle, à partir du lendemain, les prévisions météo sont plutôt bonnes.


Pavel et Daniel... Seuls sur le Manaslu !!!
Pavel et Daniel… Seuls sur le Manaslu !!!

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Le récit de Daniel…

1. On continue

25 avril 2015, camp de base 4850 m. Nous sommes tous les 7 dans la tente mess pour préparer tranquillement la suite de l’expédition. Il est presque midi, il fait chaud malgré le brouillard qui nous enveloppe. Pas de vent, tout est calme.

« Oh putain, une énorme avalanche ! »
« Oh non, c’est un tremblement de terre ! »

En 2 s tout le monde est dehors. Le sol bouge terriblement, ça gronde, on entend des avalanches invisibles. Cela dure une éternité, environ une minute ! Et ça se calme.

« Ouah ! Le souffle ! »

La seconde suivante, tout le monde est dans la tente, pour se mettre à l’abri et la tenir. Puis le calme revient. Quelques cm de neige très fine recouvrent tout, nous compris.

« Merde, la grande tente jaune est à moitié pliée »
« Et celle de Paulo a un arceau tordu »
« Mais où est celle de Frank et Christian ? »

Elle était ouverte et s’est envolée en éparpillant tout son contenu. Heureusement, au terme d’une bonne heure d’efforts, tout fut retrouvé, jusqu’à 200 m plus bas.

Notre camp de base : la tente mess jaune et grise, celle de Paulo verte, cachant celle de Frank et Christian
Notre camp de base : la tente mess jaune et grise, celle de Paulo verte, cachant celle de Frank et Christian

Tout va bien pour nous… mais les Suisses et le groupe d’Alexia sont montés au camp 1. Il leur est peut-être arrivé quelque chose ! Je suis désigné volontaire pour monter à leur rencontre. Rapidement, je croise les 2 suisses, Kilian et Peter, avec leurs 3 sherpas. Physiquement, ils vont bien, mais ils ont eu très peur, pris dans un violent souffle bilatéral. Ils m’informent que les 5 du groupe d’Alexia sont également sains et saufs. Ouf ! Je continue à monter, mais le choc émotionnel est trop fort, une pause est nécessaire.

Nous nous retrouvons tous au camp de base, tous sauf Kilian resté prostré dans sa tente. C’est un miraculé du Tacul, qui était comme en convalescence au Manaslu.
Un peu traumatisant comme retour à la montagne ! Il n’ira pas plus loin, et Peter non-plus.

  • Pouvons-nous continuer égoïstement notre ascension alors que beaucoup ont perdu leur maison, ou même des proches, dans la vallée ?
  • Comment pourrions-nous les aider ?
  • N’irions-nous pas ajouter du désordre au chaos avec tout notre matériel et notre besoin de porteurs ?

Nous sommes d’accord tous les 12, ainsi que nos équipes népalaises respectives, pour continuer l’ascension et temporiser notre retour dans la vallée. Il nous faudra unir nos efforts car la montagne est très enneigée cette année et la trace sera difficile à faire. 

  1. On arrête

Le 26, nous montons faire un portage au camp 0.5, à 5300 m. Les autres redescendent tandis que Paulo et moi restons y dormir. Dans l’après-midi, 2 répliques déclenchent des avalanches, mais notre petit camp intermédiaire est loin du danger, sur un grand replat. Notre ange gardien météorologue nous a mis en garde contre de telles répliques durant 48 h.

Nous profitons de la belle journée du 27 pour faire des portages au camp 1 à 5750 m, et monter une tente dépôt. Grosse bêtise de ma part, je laisse filer un arceau. Ca skie bien ces trucs-là, mais en trace directe ! Heureusement, je le retrouverai 200 m plus bas, planté dans la rimaye.

Les nouvelles du bas sont terribles : 5 à 7 mille morts, 200 disparus à l’Everest ! 

Nous dormons tous les 7 au camp 0.5.

Frank au camp 0.5 dominé par le Pinacle, antécime du Manaslu
Frank au camp 0.5 dominé par le Pinacle, antécime du Manaslu

Le lendemain, Paulo et moi avons toutes nos affaires au camp 1, et nous y dormons. Les autres ont préparé leurs plateformes et sont redescendus au camp 0.5. Le groupe d’Alexia dort à son camp 1 (Alexia camp), 150 m sous le nôtre. Ils se sont arrêtés à cet endroit protégé par un éperon rocheux juste avant le tremblement de terre. Ils auraient pu continuer sur ma trace du matin, qui s’arrêtait 100 m au-dessus, mais qui a été recouverte de séracs et très fortement balayée par le souffle de l’avalanche partie 1500 m plus haut. En repassant 3 jours après, j’y ai remarqué de nouvelles crevasses.

Difficile d’évaluer les risques sur cette montagne exceptionnellement enneigée et fortement ébranlée. Dans un premier temps, ce qui était fragile est tombé, mais dans un deuxième temps, la fragilisation de l’ensemble semble importante.

Le 29 avril nous devions monter avec Paulo faire la trace et équiper les passages délicats pour monter au camp 2. Mais le temps est gris et 40 cm de neige sont tombés dans la nuit. Nous nous contenterons d’aller reconnaitre « la traversée de la roulette russe » (sous des barres de séracs menaçants). Une crevasse s’ouvre au passage de Paulo, engloutissant son bâton. Alors que nous faisons fondre la neige pour le repas du soir, quelqu’un vient nous rendre visite : « Hello, I am Pavel ». C’est le dernier rescapé de l’expédition tchèque, dont les autres ne sont même pas montés au camp de base. Il est à ski, tout comme Paulo et moi, alors que tous les autres sont à pied.

Deux personnes arrivent au C1 tandis que nous traçons vers le C2 (au centre), entre les 2, "la traversée de la roulette russe" !
Deux personnes arrivent au C1 tandis que nous traçons vers le C2 (au centre), entre les 2, « la traversée de la roulette russe » !

La montée vers le camp 2 est magnifique, une fois passée la traversée : belle course d’alpinisme, passage d’un mur de glace, plusieurs crevasses parfois impressionnantes, jolies pentes et décor grandiose.
A voir Paulo d’en bas, ce mur de glace semble plutôt facile. Erreur, c’est bien raide, même presque vertical sur le haut. Neige ou glace ? Un coup c’est trop mou, un coup c’est trop dur. J’y laisse beaucoup d’énergie…
Les 3 Népalais suivent et Paulo installe une corde fixe. Le camp 1.5 est pressenti sur une lèvre de crevasse vers 6100 m. Nous poussons l’exploration jusqu’à 6200 m. Pendant ce temps, les autres membres de l’équipe montaient au camp 1 et nous observaient de loin.
Environ ½ heure après notre traversée, une belle chute de séracs a recouvert nos traces. Vu le morceau qui s’est détaché et la quantité déposée sur le passage, cela nous a plutôt rassurés : une bonne partie s’est arrêtée avant, et le cumul n’est pas énorme et ne descend pas très loin…
Mais cela reste une roulette russe !
Le soir, l’équipe est au complet au camp 1, et les cordées sont faites pour le lendemain.

Le lendemain, j’ouvre les yeux aux premières lueurs du jour (vers 5 h) et aperçois Paulo assis sur son duvet. Je commence à le connaitre le Paulo, et là, y’a un problème !
Mes questions restent sans réponse… le problème est grave !
Mais pas besoin de réponse, je sais que l’heure du renoncement a sonné. La nuit a fait comprendre à Paulo qu’il n’était pas raisonnable de jouer à la roulette russe une dizaine de fois par personne pour nous 7 et nos 6 Népalais.

Sa décision est prise, mais le plus dur reste à faire : l’annoncer et gérer le retour. 

3. On tente notre chance

La déception est générale (Paulo compris), mais l’acceptation est plus difficile pour Ingrid, Frank et moi que pour Christian, Jérôme et Julien.
Tout le monde est autorisé à faire le beau parcours jusqu’au camp 1.5, juste une fois. Mais seulement les 6 Népalais iront. Paulo laisse également une porte ouverte pour Frank et moi. Nous pourrions continuer avec Alexia, le cas échéant.

Frank décide de rester au C1 avec Yéti, du groupe d’Alexia. Je devais y rester également mais me laisse finalement entrainer jusqu’au CB et emprunte un duvet pour la nuit (merci Philippe !). Les discussions avec Pavel et le groupe d’Alexia sont intéressantes. Comme on pouvait s’y attendre, en l’absence de Paulo Alexia ne souhaite pas continuer. Je découvre un Pavel passionné et passionnant, ayant été maire de Prague pendant 8 ans, ayant gravi l’Everest et le K2, scientifique dans le milieu médical, travaillant dans une commission internationale de lutte contre la drogue. Il ne reste donc plus que lui comme candidat au sommet. Mais il serait suicidaire d’y aller seul. Paulo me laisse cette dernière porte ouverte, et en discute avec Pavel. C’est ensuite à moi de faire le geste. La nuit portant conseil, je décide d’attendre le lendemain matin.

Christian, Paulo, Kiki, Daniel, Bishal,
Christian, Paulo, Kiki, Daniel, Bishal,
Alexia, Sylvie, Julien, Ingrid
Alexia, Sylvie, Julien, Ingrid

Nous avons prévu un contact radio avec Frank à 6 h, pour lui dire s’il doit me laisser du matériel là-haut. En ouvrant les yeux, cela me parait évident, il faut tenter notre chance. La météo est plutôt bonne pour les prochains jours (beau le matin et cumulus pas trop méchants l’après-midi, avec une belle journée sans vent le 8). Je réveille Pavel à 6 h, il accepte.

Pavel et sa (notre) tente, au camp 2 !!!
Pavel et sa (notre) tente, au camp 2 !!!
  1. Tant que tout va bien, on monte

« C’est une tente pour 2 ? »

Pavel confirme. Une simple toile, sans double-toit, sans abside, juste la place pour 2 duvets. Il m’explique que notre pire ennemi c’est le poids, donc ce sera confort minimal et aucune marge en nourriture ni gaz. La stratégie est simple, depuis le camp1 :

  • – Camp 2
  • – Camp 3
  • – Camp 4
  • – Sommet et retour au camp de base.

Nous avons juste 4 jours d’autonomie, et je dois insister pour que nous prenions 4 bouteilles de gaz. Sans gaz, pas d’eau et pas de nourriture. En effet, nous emportons principalement des soupes déshydratées et des plats lyophilisés. En plus, Pavel a un sachet magique rempli de gousses d’ail, d’oignons et de gingembre, et un bon morceau de speck. Pour ma part, j’ai un morceau de jambon fumé, de la tomme des Bauges et du Miel de Savoie. Mais Pavel a contrôlé tout ce que je mettais dans le sac, jusqu’aux sachets de thé. Il porte la tente, et moi la corde, qu’il a pris soin de couper à la bonne longueur, entre 30 et 40 m. Au final, nos sacs pèsent dans les 20 kg, le sien étant légèrement plus lourd à cause de tous ses appareils électriques (téléphone satellite, photo, caméra, GoPro, batteries).

Le 2 mai, tout le monde se dirige vers le camp 1, excepté Julien. Le temps se gâte rapidement et Ingrid redescend avec Yéti, Philippe et Kiki. L’orage gronde. Il n’y a plus que Pavel et moi au camp 1. Mais au camp de base, pas de nouvelles d’Ingrid et des 3 gars d’Alexia…

Malgré le soin apporté par Frank pour trier mes affaires et me laisser le nécessaire au camp 1, il me manque, entre autres, le pantalon et la veste en duvet. Je dois donc refaire un aller-retour au camp de base. La matinée est superbe et une couche de 30 cm de poudre légère scintille au soleil. Du grand ski ! Mais que vois-je sous le camp d’Alexia ? Nos 4 disparus sont en train de descendre. Dans la tempête, ils ont remonté leur tente 3 places au camp d’Alexia pour y dormir. Ils ont pu manger le morceau de jambon fumé et la demi-tomme des Bauges que j’avais laissés à Ingrid. Tout va bien pour eux, même si la nuit en boite-à-sardines fut un peu difficile. Paulo commence à démonter le camp de base. Le groupe d’Alexia se prépare également à descendre. Je remonte dans la chaleur de la mi-journée et la neige collante. La solitude se fait sentir. Bientôt nous seront deux sur cette immense montagne, sans trace, sans assistance, sans secours possible. Il reste Indra et son kitchen boy qui nous attendent au camp de base.

Les 4 rescapés, le camp d’Alexia en haut des traces, et le C1 au-dessus de l’éperon rocheux à gauche
Les 4 rescapés, le camp d’Alexia en haut des traces, et le C1 au-dessus de l’éperon rocheux à gauche

La météo prévoit un « summit day », beau et sans vent, pour le 8 mai. D’autre part, nous préférons attendre une journée que la neige récente se tasse un peu pour faciliter la trace et minimiser le risque d’avalanches. Cette journée du 4 mai est donc consacrée au retraçage jusqu’à la corde fixe, qu’il faut dégager de la neige et de la glace. C’est aussi la première fois que nous marchons ou skions ensemble. Il trace encore plus raide que moi : j’imagine la galère demain avec des sacs de 20 kg si la neige a un peu regelé ! Question vitesse de progression, nous sommes au même niveau. Juste avant la traversée, comme Pavel n’aime pas s’encorder, pour éviter la crevasse de Paulo, nous prenons un très joli passage sous de petits séracs. 5 jours plus tard, ils se seront effondrés, recouvrant notre trace de blocs de plusieurs tonnes.

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Notre joli passage pour éviter la crevasse de Paulo, à l’aller et au retour
Notre joli passage pour éviter la crevasse de Paulo, à l’aller et au retour

Le 5 mai, c’est donc le grand départ pour notre aventure solitaire sur un « 8000 ». 

Au passage de la roulette russe, un petit sérac se décroche loin au-dessus. Je m’arrête pour regarder passer les 2 gros blocs de glace sur notre trace de la veille. Tout va bien. Pavel s’énerve un peu avec mes skis au passage du mur de glace : ils sont au bout de la corde que je tire d’en haut, mais ont la fâcheuse tendance à se bloquer en travers. Encore merci à Paulo de nous avoir installé et laissé cette corde ! Au-dessus, certaines crevasses se sont ouvertes depuis notre passage avec Paulo. L’une d’elles est bien délicate et nous faisons un téléphérique pour les sacs. Nous nous relayons pour faire la trace dans une neige soufflée parfois épaisse. Pavel déclenche une petite plaque sous un sérac. Nous nous arrêtons au-dessus du point 6200 atteint quelques jours plus tôt, et Pavel pars sans sac repérer un emplacement pour notre camp 2. La tente est vite montée, vers 6300 m, tenue par des bambous et des piolets. Les skis, les sacs et le matériel de montagne dorment dehors, tout comme les coques de mes grosses chaussures. Contrairement à moi, Pavel skie avec du matériel léger et a ses grosses chaussures dans le sac. Bien que minuscule, la tente parait plus grande de l’intérieur. Mais il faut mesurer chaque geste et se synchroniser pour bouger, d’autant que le réchaud est souvent en marche… à l’intérieur, et que Pavel traque toute trace d’humidité. Ce qui n’empêche pas le givre de recouvrir l’intérieur de la toile de tente et les duvets pour un réveil rafraichissant !

Pour l’espace, c’est dehors, pour le confort, c’est dans quelques jours !
Pour l’espace, c’est dehors, pour le confort, c’est dans quelques jours !

Thé au miel, pain, jambon, fromage, fruits secs pour moi, thé ou chocolat, chapatis, speck, céréales lyophilisées pour Pavel, le petit déjeuner prend une bonne heure. L’eau fabriquée le soir est en partie gelée, il faut compléter avec de la neige fraiche prise dehors, remplir les thermos pour la journée. Sur cette face exposée nord-est, le soleil arrive très tôt, ce qui permet de dégivrer les duvets et la tente avant pliage. Mais les après-midi sont généralement nuageux et parfois neigeux, et il est préférable d’arriver avant le mauvais temps.

Pavel, sous le poids du sac, en route vers le camp 3
Pavel, sous le poids du sac, en route vers le camp 3

Le traçage pour monter au C3 est assez éprouvant, d’autant que je m’y colle tout le long, rebroussant parfois chemin pour contourner une énorme crevasse. La barre de séracs sous le camp 4, qui a coûté la vie à plusieurs personnes en automne 2012, a déposé de nombreux blocs de glace au-dessus du col Nord lors du tremblement de terre. Nous allons jusqu’au col même pour mettre notre tente à l’abri, ce qui nous oblige à redescendre 20 m. Pavel était-il un peu fatigué ? Alors que je m’étais arrêté au point le plus haut pour l’attendre, il a cru que j’avais choisi l’emplacement et a pris la tente dans son sac. Nous étions au milieu des blocs de glace tombés de 600 m plus haut ! Je lui ai dit qu’il était préférable de descendre vers le col, alors il est parti, laissant son sac. L’aller-retour pour aller chercher son sac pendant qu’il montait la tente m’a coûté en énergie et énervement…

Le 7 mai, après une mauvaise nuit, je me réveille épuisé et avec un léger mal de tête. Il est clair que je ne peux pas monter au C4 ce matin. D’autre part, le ciel est gris et le vent désagréable. Pavel m’oblige à prendre un petit déjeuner alors que ma seule envie est de dormir. Il me donne aussi une aspirine et 2 autres cachets « softs » à avaler. Bien que ne prenant jamais de médicaments, je lui fais confiance et accepte. Vers midi je vais mieux et nous planifions un départ à 1 heure du matin pour monter directement vers le sommet. L’idée est d’aller le plus haut possible et de redescendre dormir au C3. C’est notre dernière chance.

Après une journée à dormir dans la tente, le réveil vers 23h30 n’est pas trop difficile. La sortie de la tente l’est davantage, dans un froid vif parsemé de rafales piquantes. A première vue, le ciel est parfaitement limpide, illuminé par d’innombrables étoiles et une lune encore assez ronde. Mais j’aperçois une autre lumière, très brève. Puis une autre. Mais oui, ce sont des éclairs ! Il y a de l’orage vers le sud-ouest. Va-t-il venir vers nous ? Je suis un peu inquiet et propose d’appeler Yann. Au Shishapangma, il nous avait prédit l’arrêt du vent avec une précision déconcertante, permettant à toute l’équipe de monter au sommet. Lors de sa précédente tentative au Manaslu, il semble que Paulo aurait pu poursuivre jusqu’au sommet s’il avait eu les précieuses informations de son routeur météo (toujours Yann). Mais Pavel ne veut rien savoir. La météo est bonne, point final. Ce qui lui importe est d’étudier en détail notre topo, une photo du sommet trouvée par Jérôme sur Internet et sur laquelle il a tracé l’itinéraire et les camps. Moi je la connais par coeur et en recoupant avec les observations directes, il me semble visualiser le parcours en 3D dans ma tête. Autre point de discorde, hormis l’encordement : pour lui, au-dessus du camp 4, c’est chacun pour soi, alors qu’à mon avis il vaut mieux ne pas se séparer.

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Nous laissons les skis au camp 3, à 6800 m, et nous nous équipons des vêtements les plus chauds, chaussures et gants compris. Dans le sac, j’ai toujours la corde au cas où il voudrait s’en servir, quelques vêtements supplémentaires, un peu de nourriture et du thé. Pavel fait la trace dans la pente qui se redresse sous les séracs du camp 4. Pas besoin de lampe avec cette belle lune. Nous arrivons aux premières cordes fixes, laissées en place les années précédentes. Je n’arrive pas à ouvrir mon mousqueton à baïonnette pour me longer, et dans la manip, une moufle m’échappe. Pavel m’interdit de descendre voir et m’annonce avoir une paire de rechange. Je mets donc les gants que j’ai utilisés jusqu’au camp 3 et monte rejoindre mon ami. Après une traversée nocturne au-dessus d’une énorme crevasse, accrochés à une corde plus ou moins sûre, nous devons escalader un mur de glace d’1.5 m. L’ancrage cède sous la traction et je me retrouve assis au bord de la crevasse. En prenant cette fois appuis sur le piolet, je franchis ce petit mur, mais mes gants sont mouillés et mes mains gelées. La gorge sèche et déjà bien irritée par le froid, je peine à appeler Pavel pour lui demander ses moufles. Il redescend alors les 10 m qui nous séparaient et me fait retourner au bord de la crevasse sur le petit replat pour une séance d’hélicoptère et autres mouvements de réchauffement des mains. Je trouve qu’il en fait un peu trop, mais je repars les mains bien chaudes, malgré l’inefficacité apparente des chaufferettes.

Ce passage plus difficile que prévu et mes bêtises nous ont fait perdre beaucoup de temps, et le jour commence à poindre son nez. Nous pensions être au C4 pour le lever du soleil, mais il reste encore près de 300 m de dénivelée, et pas si facile qu’on l’espérait (forte inclinaison et passages importants en glace). Mais quel décor ! L’orage lointain est parti depuis longtemps et le ciel est d’une limpidité absolue. Les couleurs mauve, bleu, argenté, orange surgissent tour à tour de l’horizon et montent au-dessus de nos têtes. Les sommets alentours blanchissent par le haut, et tout à coup, tout s’illumine. On aperçoit le plateau tibétain, le Dhaulagiri, les Annapurna.

Le site du C4 est magnifique, sur un plateau au bord du vide, mais il ressemble à un cimetière avec tous ces cadavres de tentes (il parait qu’il y en a un vrai dans l’une d’elles) et ces tas d’objets que leurs propriétaires n’ont pas eu la force ou la volonté de redescendre. Pour notre part, nous ne laisserons que la corde fixée par Paulo, quelques bambous avec des fanions et une moufle.

Au-dessus du C4, nous trouvons beaucoup de glace et de la neige soufflée très irrégulière. Nous avons bien fait de laisser les skis au C3. La météo est toujours superbe et nous progressons très lentement mais suffisamment rapidement, chacun pour soi mais jamais loin l’un de l’autre. Tantôt l’un devant, tantôt l’autre, tantôt chacun sa trace. Il en fait une longue partie jusqu’à atteindre l’arrête environ 150 m sous le sommet, qu’il nous semble apercevoir au loin. Einstein nous a appris que l’espace et le temps se déformaient en présence d’un champ gravitationnel et nous remarquons qu’ils se déforment aussi avec l’altitude. Au-dessus de la maison, à 300 m d’altitude, il faut environ 5 mn pour monter une bosse de 100 m, là il faut compter une bonne heure. Peut-être que le principe d’incertitude d’Heisenberg nous joue aussi des tours et prend des proportions gigantesques avec l’altitude. Nous sommes incapables d’évaluer le temps nécessaire à atteindre ce sommet si proche mais si lointain vu le peu d’énergie qui nous reste.

Je sens une hésitation, Pavel veut-il faire demi-tour ? Il est bientôt 13h, mais la météo est sereine. Sans lui laisser le temps de réfléchir, je passe devant. Il suit à distance. Arrivé au pied du rocher qui semblait être le sommet depuis le C4, je découvre un peu plus loin un petit col et une belle arrête cornichée ornée de cordes fixes. Plus haut, une arrête rocheuse ornée de nombreux drapeaux à prière. Au-dessus une arrête très aérienne avec des cordes fixes pendant dans le vide. Le passage me semble très dangereux dans mon état de fatigue et à ce moment-là surgit un coup de vent transportant des nuages s’accrochant au sommet. J’estime être 3 m plus bas, aux déformations de l’espace-temps et à l’incertitude près, mais n’ai pas envie d’aller déranger les dieux tout là-haut : ils ont été plutôt cléments avec nous et je souhaite qu’ils le restent. Même l’appareil photo refuse de prendre le sommet. Je ferai donc demi-tour à cet endroit. De retour sous les drapeaux à prière, je croise Pavel qui me donne son appareil pour immortaliser l’instant, avec des drapeaux tchèques.

Photo au zoom et agrandie prise par Jérôme en descendant de Bimthang vers 11h
Photo au zoom et agrandie prise par Jérôme en descendant de Bimthang vers 11h

5. Descente laborieuse

A presque 15h nous commençons la descente, toujours au soleil. Mon compagnon est cette fois plus lent que moi. Est-ce à cause du K2 où il a erré pendant 8h dans la tempête pour retrouver son camp au retour du sommet et où plus bas il est parti en glissade arrêté par une crevasse lui tordant le genou ? A chaque pause pour l’attendre je m’endors sur mon sac. Nous sommes sous le passage de la grosse crevasse, dans la pente au-dessus du col Nord, lorsque les nuages nous entourent et que le tonnerre commence à gronder au loin. Nous devons sortir les frontales pour les dernières minutes, et notre petite tente nous accueille vers 20h.

Le réveil est un peu tardif et le soleil est déjà levé vers 6h. Je prépare le p’tit déj, et Pavel met 2 sachets de thé dans la gamelle (il m’énerve avec cette manie de mettre 2 sachets alors qu’ils sont rationnés). J’apprendrai juste après que c’étaient les 2 derniers : plus de thé ni de tisane pour moi alors que lui boit aussi du chocolat et du café… Une envie pressante m’oblige à sortir et, en faisant attention à ne pas faire tomber le givre de la tente et à ne pas faire rentrer la neige accumulée dehors, je touche la poignée de la gamelle avec mon pied et le thé se répand dans la tente (sous mon matelas). Pavel essuie, un brin énervé, et je suis condamné à l’eau chaude au goût douteux pour mon petit déjeuner et pour ma gourde du jour.

La descente à ski est laborieuse avec 20 kg sur le dos dans une neige soufflée et collante. Dans les pentes un peu raides elle part en boules ou carrément en plaques. Comme toujours, c’est moi qui ouvre la descente, purgeant ce qui doit l’être. Pour passer la crevasse qui s’était encore ouverte, j’opte pour le gros pont de neige sur une partie plus large (au moins 2 m), repéré à la montée et qui devrait tenir en passant vite. Nickel ! Mais une neige profonde et croûtée m’attend juste derrière, déclenchant la sécurité arrière et propulsant mon sac sur ma tête. Tout est blanc et froid. Après une lutte épuisante, je parviens à relever la tête pour apercevoir la crevasse suivante juste devant ! Une fois de plus, tout va bien.

Après m’avoir fait descendre les sacs et mes skis par la corde, Pavel se paie le luxe de descendre le mur de glace en rappel, skis aux pieds. Nous découvrons ensuite la traversée de la roulette russe, qui finalement porte bien son nom : des blocs de glace recouvrent la trace sur 50 m de large et plusieurs mètres de haut ! Je cherche un autre passage redoutant de galérer dans ces blocs et de trop nous exposer, mais Pavel prend les devants et traverse rapidement. La chute a dû se produire quelques jours plus tôt et les blocs sont un peu ramollis et recouverts de neige. Paulo avait sans doute raison de redouter à ce point cette traversée.

Le coup est parti tout seul ! Notre trace de montée est complètement à gauche au-dessus de la crevasse
Le coup est parti tout seul ! Notre trace de montée est complètement à gauche au-dessus de la crevasse

Je propose à Pavel de descendre directement au CB et de remonter le lendemain pour récupérer le C1, mais il tient à tout descendre aujourd’hui car les porteurs doivent arriver à 9h du matin. En fait ils n’arriveront qu’à midi, mais nous voilà, lui avec un sac de près de 40 kg et moi trainant mon gros sac marin derrière les skis, dans une neige molle et collante. Ma technique s’avère bien meilleure car, à chacune de ses chutes, le relevage est extrêmement pénible. Les 2 népalais nous accueillent chaleureusement avec un excellent repas.

En enfonçant parfois jusqu’au ventre dans la neige pourrie recouvrant la moraine, je plains les porteurs qui vont suivre avec 25 kg sur le dos ! En effet, le soir nos sacs arrivent à Sama Gaon couverts de boue. L’équipe des népalais d’Alexia nous apprend que les 5 membres ont pris l’hélico le matin, et que Julien et Ingrid sont partis à pied vers le bas de la vallée qui est complètement sinistré. Je pense avoir mal compris… mais bien que Paulo ne m’ait rien dit, mes soupçons d’éclatement du groupe se précisent. Pavel prévoit de rester au moins une journée à Sama et je me prépare à une longue journée de marche pour rejoindre Paulo (et les autres ?) à Bimthang. Nous faisons nos adieux le soir même.

Les horaires sur la carte indiquent 16 h, et les locaux disent 12 h de marche. Suis-je en état de supporter un tel effort 3 jours après le sommet ? La météo prévoit 20 cm de neige pour le lendemain, rendant plus délicat le passage du col de Larkya, et Paulo souhaite redescendre au plus vite vers Katmandu. Il me faut donc arriver à Bimthang ce soir. De Samdo au col, je marche pendant 6 h sans voir un seul être humain, excepté un berger à Dharamsala. Pas d’humains mais beaucoup de marmottes et de yacks. Vers le col, le beau ciel bleu fait place à la grisaille, au vent de face et aux piqures du grésil. Dans la descente je rejoins les porteurs qui brassent avec leurs 7 énormes charges pour 5. Ils n’ont pas démérité dans cette traversée éprouvante, mais devront laisser les sacs au pied de la grande pente sous peine d’arriver tard dans la nuit. Paulo, Frank et Christian m’accueillent chaleureusement à Bimthang. Ils ont pu faire une belle ascension sur un sommet vierge de 6600 m. Ils me confirment que les « amoureux » sont partis de l’autre côté contre l’avis de tous. Et Jérôme ? Son père est décédé d’une crise cardiaque, il est rentré d’urgence, sans passer par la case « sommet » !

Notre Lodge de Bimthang après la secousse du 12 mai
Notre Lodge de Bimthang après la secousse du 12 mai

Le lendemain, 12 mai, tous les 3 montent avec l’équipe népalaise pour récupérer les sacs laissés 600 m plus haut, tandis que je me repose en montant au lac Ponkar. Tout le monde est de retour à midi. Affairés dehors à faire sécher et à ranger nos affaires, nous voyons Guita, notre logeuse, sortir en courant de sa cuisine. Ensuite nous réalisons que ça tremble à nouveau. Une belle avalanche dévale 3000 m sur le Manaslu, la moraine s’écroule à 100 m de nous, et des murs de notre lodge et de la maison voisine tombent. Ce n’était donc pas fini. Et cette grosse secousse (7.3 sur l’échelle de Richter) produira certainement son lot de répliques. De quoi nous inquiéter pour les prochains jours qui vont se passer, à pied ou en jeep, dans des vallées profondes et des défilés impressionnants…

Nous arrivons finalement sans encombre à Katmandu, accueillis par 2 répliques à quelques minutes d’intervalle. Nos vols sont avancés de quelques jours et c’est avec un certain soulagement que nous retrouvons le bon vieux continent, sauf pour Paulo qui repart vers le Mustang.


La perception de Frank sur ce choix d’arrêter l’expédition.

Pour ma part, je suis sous le choc. Daniel me propose de continuer avec lui. Mais si techniquement, j’estime être à la hauteur, je ne dispose pas de son exceptionnelle condition physique, je n’ai pas de ski et nous ne disposons pas de toute la logistique nécessaire (pas de téléphone satellite, GPS …). Je décide donc de rester le seul du groupe au C1 pour la journée et la nuit, afin de murir et peser tout cela alors que Daniel aidera à descendre des charges et passera la nuit au CB.

La nuit portant conseil, je me décide à continuer uniquement si l’équipe d’Alexia en fait autant et s’ils sont prêts à m’accepter. Et dans le cas contraire, Daniel doit tenter sa chance avec Pavel. On décide d’un point radio à 6:00 le matin pour connaître la décision des uns et des autres et s’organiser en conséquence.

Finalement Le groupe d’Alexia prend la décision de renoncer à son tour. Daniel réveillera Pavel le matin en lui proposant de se joindre à lui… sans quoi Pavel serait seul sur cette grosse montagne ce qui aurait hypothéqué définitivement ses chances de réussite. Pour ma part, j’essaierai de préparer au mieux les affaires au C1 pour Daniel avant à mon tour de prendre la direction du CB, mais en demandant à Paulo au préalable d’essayer de nous dégotter une alternative avec un joli « petit » sommet sur le chemin du retour.

Lors de ma descente, je retrouve Alexia et Sylvie en route pour récupérer leurs affaires à leur tour et les descendre du C1.
Plus loin, au niveau du Camp  0,5, je vois Paulo.
Alors que nous discutons tous les 2 sous un brouillard qui se fait de plus en plus épais en attendant les népalais, nous sentons un petit tremblement de terre et on entend quelque chose tomber très haut dans la montagne mais heureusement sans aucune conséquence. Cependant nous avons pris cela comme un signe que cette décision était la bonne.

Quelques jours plus tard, on apprendra que sur cette fameuse traversée sous les séracs, il y avait une accumulation de blocs de glace d’environ 10 mètres de haut.

 


Depuis la montée au Larkye Pass. Mais quel est donc ce sommet ?
Depuis la montée au Larkye Pass. Mais quel est donc ce sommet ?

« La Montagne des quatre gamins », (Tsar Batsa Himal)
ou encore le Bhimthang Summit. Une belle ascension…

La première journée, nous avons installé un camp d’altitude sur le glacier vers 5850 m.
Jérôme, lui, descend à Bhimthang pour organiser son retour avec Bishal.

Grâce à Frank, nous sommes partis de très bonne heure, avec un levée à 3h du mat !
Nous avons ainsi profité de bonnes conditions de neige, sans être écrasé de chaleur sur le glacier. Malgré les sacs un peu lourds, l’itinéraire est assez simple. Un court passage un peu plus raide nous a simplement obligé a un peu plus d’attention, puis sur le glacier, nous nous sommes encordé comme dans les Alpes.
Vers midi, nous sommes à bon port. Pas la peine d’aller plus haut. Ce sera Frank Camp.
Le temps est exceptionnel et nous nous reposons tout l’après-midi en prévision d’un nouveau départ très matinal.
Avec Frank, un peu plus tard, nous profitons des lumières du soir pour tracer un peu la suite de l’itinéraire et apprécier la vue sur le Manaslu. Nos pensées s’envolent vers Daniel…, seul avec Pavel sur cette grande montagne.
De nouveau, le réveil fut matinal, par un temps toujours aussi agréable. Pas de vent, une température douce et des conditions de gel satisfaisantes. Nous sommes trois cordées.

La première partie est un parcours glaciaire un peu crevassée jusqu’à un grand replat. Puis une courte section un peu raide (35°) conduit à des pentes régulières. La neige est devenue un peu profonde et nous nous remplaçons pour faire la trace. A l’approche de l’arête, l’itinéraire contourne des crevasses et une dernière pente donne accès au sommet avec de grandes corniches. Frank ayant le plaisir de faire en tête les derniers passages.

Frank, dans le dernier passage.
Frank, dans le dernier passage.
le sommet d'à côté. pas mal n'on plus...
le sommet d’à côté. pas mal n’on plus…

Ce fut également un bel apprentissage pour l’équipe népalaise qui ont ainsi vécu le plaisir de la réussite, tous ensemble et en étant exemplaire sur nos encordements.
Et bien sûr pas de corde fixe !

Au retour au camp, pas de précipitation. Nous restons tous à Frank Camp, la neige est trop ramollie et la descente le lendemain matin n’en sera que plus simple.

Nous avons nommé ce sommet «Tsar Batsa Himal» (la montagne des quatre gamins), un clin d’oeil aux quatre jeunes népalais qui nous ont accompagné : Jangbu Sherpa, Dhan Magar, Deepen Bothe & Rajan Bothe.
Peut être sera-t-il nommé ainsi sur une prochaine carte ou comme Bhimtang Summit. A voir…

C’est un itinéraire très esthétique coté III/ PD en neige (cotations Himalaya).
Environ 5 à 6 h depuis Frank Camp.
Un très bel objectif, déjà haut 6631 m, simple a réaliser en technique alpine et facile d’accès. Donc simple d’organisation depuis Bhimthang et Dharapani.
Il faut simplement choisir le bon moment pour les pentes d’accès au glacier qui peuvent être en éboulis peu agréables.

Une contribution inattendue de ce Manaslu 2015.

Quel nom allons-nous donner à ce sommet ?
Quel nom allons-nous donner à ce sommet ?
Notre itinéraire sur ce petit sommet.
Notre itinéraire sur ce petit sommet.
Vers le sommet, qui se trouve à gauche de l'image.
Vers le sommet, qui se trouve à gauche de l’image.

 

Frank et Dhane Magyar, au petit matin...
Frank et Dhane Magyar, au petit matin…

 Avec les mots de Frank…

REBONDIR APRES LA DECEPTION

Seulement 3 jours après la décision de stopper l’ascension du Manaslu, tout le groupe, excepté Daniel descendait du CB pour rejoindre le principal Lodge de Sama épargné par le tremblement de terre.
La descente de toutes les charges organisée par des porteurs de Sama devant nécessiter 2 jours, nous disposons de temps devant nous pour visiter la vallée et nous rapprocher de l’épicentre, afin de mieux réaliser les dégâts occasionnés, partager avec les locaux et ainsi relativiser notre abandon. Nous prenons donc tous les 5 (Christian, Ingrid, Jérôme, Julien et moi) la direction du village de Lho pour une petite randonnée d’une journée. Pendant ce temps, Paulo va repérer une falaise pour une idée de site d’escalade, puis accueille toute l’équipe de porteurs qui arrive du haut.

Disposant de tout notre matériel d’alpinisme, de suffisamment de temps devant nous avec de nombreuses rations de nourritures non consommées sur le Manaslu, pour les prochains jours l’idée est désormais de rejoindre le col du Larkya (5200 m) pour y poser notre nouveau Camp de Base afin de tenter l’ascension de sommets à proximité.
Mais c’est sans compter sur l’imagination d’Ingrid et Julien qui au retour de notre sortie sur Lho indiquent à Paulo qu’ils ont l’intention de « sortir du cadre » en voulant continuer à descendre la vallée malgré les nombreux handicaps de chemins et ponts endommagés. Non sans réticence, Paulo accepte finalement et le lendemain matin, ils partent dans la direction inverse du reste du groupe.
Quelques jours plus tard, ils seront héliportés sur Pokhara pour les sortir d’une impasse, mais ils furent satisfaits de « leur » voyage.

Par ailleurs les conflits entre les villages de Sama et Samdo n’arrangent pas nos affaires pour le portage des charges jusqu’à Bimtang où des ânes devraient prendre le relais mais il faudra avant cela passer le col avec les charges à dos d’homme dans une neige parfois lourde et profonde.
Finalement, cela prendra un peu plus de temps que prévu car ce sont essentiellement des hommes de notre équipe rapprochée qui devront réaliser le gros du travail.

UN BEAU SOMMET VIERGE DE 6600 m EN STYLE ALPIN

On se donne au moins 3 jours pour faire un premier sommet. Paulo suggère de gravir le Larke Peak (6249 m) bien visible de notre nouveau CB « light » et sur lequel Paulo et Sonia ont déjà usé leurs crampons. Malgré l’absence d’informations, je fais part de ma préférence pour un sommet plus esthétique que l’on aperçoit en retrait mais qui semble plus haut et dont l’itinéraire est totalement inconnu. Il s’agit là d’un réel challenge, car il va falloir improviser un cheminement qui peut nous conduire sur une impasse et on n’aura probablement pas de seconde chance. C’est osé mais notre dernière expédition commune avec Paulo sur le Bijora à l’Ouest du Népal nous a donné quelques clés pour mieux appréhender ce genre d’entreprise. Finalement Paulo se raccroche à cette idée et toute l’équipe suivra excepté Jérôme qui doit rentrer précipitamment suite au décès soudain de son papa.
Le lendemain matin, l’équipe constituée de 4 népalais (Zangbu, Dhane, Rajan et Dhepeen) et de 3 occidentaux (Paulo, Christian et moi-même Frank) part de bonne heure avec 2 tentes et le strict minimum en matériel. De par de bonnes conditions de neige et une belle météo et grâce à notre bonne acclimatation, on progresse rapidement sur un itinéraire que l’on a imaginé en ayant un peu le sens du terrain. L’arrêt prématuré de notre ascension sur le Manaslu, alors que les choses intéressantes allaient commencer, m’a donné faim et j’ai en ce jour enfin l’impression de faire de l’alpinisme. En fait j’ai la sensation que nous partageons tous ce plaisir. Paulo me laissera faire une grosse partie de la trace en choisissant l’itinéraire qui me semble le plus naturel. Vers 12 :00 on a posé notre camp vers 5800 m … les népalais l’appelleront le « Frank Camp ». Ce camp est bien protégé et on a une superbe vue sur le Manaslu comme pour mieux en faire notre deuil mais aussi pour garder une pensée toujours présente sur Daniel et Pavel que l’on sait tout là-haut. En fin d’après-midi et faute d’autres volontaires, Paulo et moi allons repérer brièvement la suite des évènements afin de nous rassurer sur la progression et faire le début de la trace pour le lendemain. Le sommet est encore loin. On ne voit pas toutes les difficultés mais cela semble faisable techniquement. En redescendant à notre petit camp, on bénéficiera de magnifiques lumières sur le Manaslu en ce « summit day » pour Daniel et Pavel.
Le lendemain matin, on se lève à 3 :00 pour un départ vers 4 :00 dans le froid. On observe un orage à l’horizon. Je crains un instant qu’il nous faille tout arrêter mais cette fois-ci les Dieux sont avec nous et l’orage s’éloignera laissant place à un beau début de journée. Paulo fait cordée avec Christian. Ils ouvrent la marche pour se frayer un chemin à travers de grosses crevasses. Je suis de prêt avec Dhane et la 3ème cordée avec les autres népalais ferme la marche. Dhane reprend très vite le relais en progressant sur de belles pentes de neige avant de caler quelques heures plus tard alors que le soleil tape et que l’on commence à s’enfoncer dans la neige. L’équipe fraiche des népalais prend les devants en suivant une ligne de progression très esthétique. L’altimètre indique déjà 6400 m et on a encore du chemin pour atteindre le sommet. Si on avait su que c’était si haut peut-être n’aurions-nous jamais osé partir dans cette nouvelle aventure. Il reste encore un petit passage technique où il faut grimper corde tendue avant de rejoindre l’arête sommitale. Paulo me laisse l’honneur d’ouvrir la voie constatant alors qu’en basculant de l’autre côté de l’arête il n’y a pas de méchantes corniches et la pente n’est pas trop raide. Maintenant il n’y a plus aucun doute, plus rien ne peut nous arrêter pour rejoindre le sommet. Je reste vigilant sur les derniers mètres pour faire la trace en raison des grosses corniches à proximité du sommet. Vers 11.00, nous atteignons avec Dhane le point culminant suivi quelques minutes plus tard de Paulo, Christian et du reste de l’équipe. Il n’y a pas de vent et la température est très agréable. On profite de ces quelques minutes en haut de notre sommet « rédempteur » qu’il faudra baptiser suite à sa première ascension par des bipèdes. Les népalais sont heureux de ce succès et c’est la petite séance photos pour leur famille et ami(e)s je suppose … Il nous faut alors être vigilants dans le début de la descente qui est un peu raide avec de la neige qui colle sous les crampons malgré les anti-bottes. Vers 13 :30 on est de retour à notre camp. Vers 15 :00, le temps se gâte et on se dit que l’on a  bien fait d’être efficace le matin. Le lendemain, on lèvera le camp vers 7 :00 pour retrouver notre CB « light » en espérant que rien ne nous aura été volé en notre absence. On atteindra celui-ci vers 12 :00 avec par bonheur aucune mauvaise surprise à l’arrivée.
Toute l’équipe, excepté Paulo qui restera pour attendre des porteurs et veiller au matériel, enchaînera sur le passage du col et la descente sur Bimtang que l’on atteindra seulement vers 16 :30. Cette journée marque notre dernière journée d’alpinisme. On restera à Bimtang plusieurs jours afin de réunir tout le matériel et retrouver Daniel qui aura enchainé de grosses journées de marche pour nous rejoindre … mais il était sur son nuage.
Quant à nous, plus modestement, on gardera aussi un très agréable souvenir de notre beau petit sommet que l’on peut probablement coté « PD » (Peu Difficile), un bel itinéraire qui nous a comblés en tant qu’alpinistes. C’est un jeu au combien passionnant que de s’engager dans l’inconnu et d’imaginer une ligne de progression sachant que nous sommes les premiers à mettre les pieds en ce lieu.

A notre retour dans la vallée, on ne croisera que très peu de touristes. La veille de notre passage au checkpost de Dharapani, seules 5 personnes ont été enregistrées !

Initialement, je souhaitais rendre visite au vrai sommet du Petit Larkye Peak et peut être en faire la traversée. Mais l'accès au col était cette année un peu exposé aux séracs. Et dans ce style, nous avions déjà donné !
Initialement, je souhaitais rendre visite au vrai sommet du Petit Larkye Peak et peut être en faire la traversée. Mais l’accès au col était cette année un peu exposé aux séracs. Et dans ce style, nous avions déjà donné !

 


 

UNE EQUIPE NEPALAISE MERITANTE

Comme indiqué plus haut, le départ de Sama pour repasser le col du Larke et rejoindre Bimtang sera une réelle épreuve pour toute l’équipe. Pendant quasiment 6 jours, il va y avoir des charges éparpillées partout sur le chemin à tel point que l’on ne sait plus pendant quelques jours si tout va réussir à arriver à bon port tant l’effort physique demandé à une équipe restreinte, est important. Quand je demande à Bishal, le sirdar, s’il a une idée du temps que cela nécessitera encore, il est incapable de me répondre. Paulo laisse faire, sans intervenir, bien conscient de la susceptibilité à fleur de peau des uns et des autres et surtout de crainte que cela n’implose. Toute l’équipe proche (cuisine, Special Porters, Assistant guide) est sollicitée. Les européens restants apporteront aussi leur contribution pour réussir à ne pas perdre trop de temps. C’est donc avec un grand soulagement quand tout est rassemblé à Bimtang, les conditions météos, par chance, ne s’étant pas dégradées pour passer le col. Il reste encore le matériel de Daniel redescendu à Sama. Au prix d’une belle performance, les 2 plus jeunes Rajan et Deepen feront le déplacement et ramèneront le tout en moins de 2 jours. Ce fut un bel exemple de travail d’équipe et de solidarité entre nous. Je pense que dans de telles circonstances seules de bonnes relations construites depuis des années et des liens respectueux tissés entre népalais et occidentaux a permis de s’en sortir.

Et pour dire vrai, nous sommes tous fiers de ne pas avoir sollicité une aide héliportée.
Malgré les difficultés, nous sommes restés fidèles à notre éthique de ne pas faire appel à une aide extérieure, les népalais ne méritant pas en ces temps troublés que l’on détourne l’aide dont ils ont réellement besoin…

Encore bravo à tous :

  • Bishal, Bahadur, Bimal, Urpa, Dorjé, Zangbu, Dhane, Rajan, Deepen, Kami et le frère de Dhan …
Juste indispensable...
Juste indispensable…

1 réflexion sur “Manaslu 2015 !”

  1. Cette ascension du Manaslu en mode roulette russe de Daniel me donne des frissons dans le dos. A posteriori on ne peut que comprendre ta décision, difficile mais qui relève de la sagesse en tant que responsable d’un groupe.

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